Le circuit vu du ciel - Photo aérienne © Google
Un beau jour de septembre, je me résous donc à partir à la recherche des fantômes mécaniques de la petite ville de Gueux. Bien décidé à les fixer sur pellicule. Direction l'autoroute de l'Est, Reims, et la campagne champenoise ... Et tandis que je roule vers le soleil levant de cette fin d'été, j'essaie de me remémorer ce que j'ai pu apprendre sur l'histoire de ce circuit mythique.25 Juillet 1926. Alors que deux jours plutôt Raymond Poincaré vient d'être rappelé à la Présidence du Conseil, sur le circuit de Gueux s'ouvre la première course de son histoire, le 2ème Grand Prix de la Marne.
Six ans plus tard, le 3 juillet 1932 exactement, alors que c'est au tour d'Edouard Herriot d'être rappelé pour la troisième fois à la Présidence du Conseil (à croire que c'est une habitude sous la IIIe République d'être nommé et re-nommé à ce poste stratégique en plein été !), le circuit accueille pour la première fois le très prestigieux Grand Prix de l'Automobile Club de France.
Mais c'est en 1950, que la réputation du circuit franchit une étape décisive. Cette année-là, alors qu'à l'autre bout du monde les troupes nord-coréennes de Kim Il-sung viennent d'envahir le sud du pays, déclenchant ainsi ce qui allait être la Guerre de Corée. Alors qu'à l'autre bout de l'Europe, la XXVe Biennale de Venise vient de récompenser Matisse pour son travail. Et alors que quelques semaines plus tôt, à l'autre bout de la France, le prestigieux Festival de Cannes n'a pas eu lieu pour cause de problèmes financiers. Ici, au milieu des vignobles et des champs de betteraves, se déroule le Premier Grand Prix de France de Formule 1. Une course qui voit la victoire de celui qui deviendra une véritable légende, le pilote argentin Juan Manuel Fangio.
Le milieu des champs, Circuit Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Après ça, et pendant seize ans, le circuit va vivre ses plus belles années. Vingt-trois courses automobiles y seront organisées dont pas moins de onze Grand Prix de Formule 1. De grands noms, champions du monde, y furent vainqueurs. Fangio par trois fois en 1950, 1951 et 1954, Jack Brahbam en 1960 et 1966 et Jim Clark en 1963. Mais les ennuis financiers vont vite avoir le dessus et après la dernière course automobile organisée en 1969, c'est la descente aux enfers jusqu'en 1972, année de fermeture définitive du circuit. Rideau. Fin de l'histoire, ou presque …
Les formidables années de Reims-Gueux, l'ambiance surchauffée qui envahit régulièrement les stands, le vrombissement des moteurs, les cris de la foule et les sourires des vainqueurs ne doivent pas faire oublier ceux qui y ont laissé leur vie. Car ici, comme sur tous les circuits du monde, des fantômes promèneront encore pendant longtemps leurs silhouettes le long des pistes …
C'est donc avec toutes ces images en tête que je quitte l'autoroute de l'Est, direction Reims, Muizon et le village de Gueux. M'engageant sur la D27, la première trace que j'aperçois après le rond-point, là sur ma gauche, est cette grosse borne BP aux couleurs de la marque, juste en bordure de champ. BP, ou British Petroleum, a vu le jour en 1909 et n'a cessé de sponsoriser les sports automobiles depuis sa création. Normal donc qu'elle soit encore présente aujourd'hui. Bétonnée dans le sol. Indéboulonnable…
Borne BP, Circuit Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Après ça, et pendant seize ans, le circuit va vivre ses plus belles années. Vingt-trois courses automobiles y seront organisées dont pas moins de onze Grand Prix de Formule 1. De grands noms, champions du monde, y furent vainqueurs. Fangio par trois fois en 1950, 1951 et 1954, Jack Brahbam en 1960 et 1966 et Jim Clark en 1963. Mais les ennuis financiers vont vite avoir le dessus et après la dernière course automobile organisée en 1969, c'est la descente aux enfers jusqu'en 1972, année de fermeture définitive du circuit. Rideau. Fin de l'histoire, ou presque …
Les formidables années de Reims-Gueux, l'ambiance surchauffée qui envahit régulièrement les stands, le vrombissement des moteurs, les cris de la foule et les sourires des vainqueurs ne doivent pas faire oublier ceux qui y ont laissé leur vie. Car ici, comme sur tous les circuits du monde, des fantômes promèneront encore pendant longtemps leurs silhouettes le long des pistes …
C'est donc avec toutes ces images en tête que je quitte l'autoroute de l'Est, direction Reims, Muizon et le village de Gueux. M'engageant sur la D27, la première trace que j'aperçois après le rond-point, là sur ma gauche, est cette grosse borne BP aux couleurs de la marque, juste en bordure de champ. BP, ou British Petroleum, a vu le jour en 1909 et n'a cessé de sponsoriser les sports automobiles depuis sa création. Normal donc qu'elle soit encore présente aujourd'hui. Bétonnée dans le sol. Indéboulonnable…
Borne BP, Circuit Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Bon. Pas de doute, je viens bien de rentrer sur le circuit par ce que l'on nomme le virage de Thillois. Ici, sur quelques centaines de mètres, étaient installés les premiers gradins pouvant accueillir jusqu'à 6.500 personnes. Et juste derrière, au milieu des champs, un parc à voitures de 3.000 places. Rien que sur cette portion de circuit, qui s'étend jusqu'au village, ce sont près de 15.000 véhicules qui pouvaient stationner pendant les courses. Car à l'époque, on venait en famille de toute la région, et même de la France entière, pour admirer les bolides dévoreurs de kilomètres et de vitesse. On était au cœur des trente glorieuses et les soucis énergétiques ou écologiques n'étaient pas encore à l'ordre du jour.
Le promenoir, Circuit Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Devant moi, la départementale qui déroule son long ruban asphalté n'est autre que la fameuse ligne droite des tribunes. Là, dans le prolongement des gradins, s'étendaient sur près d'un kilomètre le promenoir qui menait jusqu'au centre névralgique du circuit.
Soudain, cette perspective qui s'ouvre devant moi me donne envie d'enfoncer l'accélérateur ! Plus j'avance, et plus mon cœur bat la chamade. Et ce qui, jusqu'à présent, semblait n'être que de vagues silhouettes, prend rapidement la forme de bâtiments sortis d'un autre âge. Me voilà propulsé plus d'un demi-siècle en arrière, dans un passé que je n'ai pas connu.
Moteurs, le magazine du sport automobile, Circuit Reims-Gueux,
2011 - Photo © Yannick Vallet
Fébrile, je m'arrête sur le bas-côté, vraisemblablement au niveau de ce qui devait être la grille de départ, et observe à travers mon pare-brise. À quelques mètres sur la droite s'élève l'ancien poste de chronométrage construit en 1953, baptisé Pavillon Lambert. Mais qu'est-ce donc exactement que le chronométrage ? En 1949, Charles Fourreau, secrétaire de la Commission sportive de l'A.C.F., l'expliquait ainsi dans une plaquette destinée au public : "L'équipe de chronométrage est composée comme suit :
Le pointeur qui relève la position des coureurs à chaque tour.
L'appeleur de numéros.
Le chronométreur qui prend le temps avec l'appareil.
Des teneurs de tableaux qui inscrivent le temps dans la colonne réservée à chaque coureur.
Les résultats sont immédiatement communiqués à la radio. Le public peut connaître ainsi, immédiatement, la position des voitures, les moyennes réalisées, le meilleur tour, etc..."
En face du Pavillon Lambert, de l'autre côté de la piste, se dressait l'ancien Pavillon des Speakers, mais celui-ci a disparu. Définitivement. Et derrière moi, dans le champ de betteraves se dressaient des pylônes d'éclairages, eux aussi démontés il y a bien longtemps.
Pavillon Lambert, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Les stands, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Ici à Gueux, enchâssé au milieu de ces drôles de boxes pour chevaux mécaniques, se dresse un bâtiment de trois étages, celui des restaurants sur piste. Encore un lieu mystérieux, un lieu où les gens importants, les notables de la région, les cadres de l'ACF et autres VIP de l'époque se réunissaient autour d'une bonne table. Un lieu où le champagne coulait à flot et où le petit monde influent des courses refaisait des carrières. Engageant des discussions autour de l'éviction prochaine d'un pilote ou des frasques récentes d'un autre. Parlant argent, sexe et rivalités. Enfin, c'est ce que je m'imaginais depuis que j'avais découvert GRAND PRIX1. le film de John Frankenheimer.
Restaurants sur piste, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
À ses pieds, les stands continuaient sur plusieurs dizaines de mètres, jusqu'au fameux pneu géant aux couleurs de Dunlop, qui enjambait la piste. Mais aujourd'hui, seuls quelques stands de ravitaillement subsistent encore, laissant ainsi la place à l'immense tableau d'affichage qui déploie son envergure sur 24 mètres. Repeint il y a quelques années, il aurait d'ailleurs bien besoin d'une véritable restauration digne de ce nom. Comme pour le reste du site, inscrit au titre des monuments historiques depuis 2009, une campagne d'appel à don sous l'égide de la Fondation du Patrimoine est en cours. Ce programme de réhabilitation est le fruit du travail effectué par l'association Les Amis du Circuit de Gueux et de quelques passionnés du coin ...
À Reims, il y a le Champagne mais il y a aussi le circuit. Et pendant des années, même si aujourd'hui bon nombre de français l'ont oublié, les deux étaient indissociables et collaient fièrement à l'image de la région.
Restaurants sur piste, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Tout à côté du panneau d'affichage, se dresse la centrale des carburants dont les réservoirs permettent de distribuer simultanément deux carburants différents aux 45 stands de ravitaillement. Une plateforme construite par la vieille anglaise BP (encore elle !) spécialement pour le circuit…
Le promenoir, Circuit Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Devant moi, la départementale qui déroule son long ruban asphalté n'est autre que la fameuse ligne droite des tribunes. Là, dans le prolongement des gradins, s'étendaient sur près d'un kilomètre le promenoir qui menait jusqu'au centre névralgique du circuit.
Soudain, cette perspective qui s'ouvre devant moi me donne envie d'enfoncer l'accélérateur ! Plus j'avance, et plus mon cœur bat la chamade. Et ce qui, jusqu'à présent, semblait n'être que de vagues silhouettes, prend rapidement la forme de bâtiments sortis d'un autre âge. Me voilà propulsé plus d'un demi-siècle en arrière, dans un passé que je n'ai pas connu.
Moteurs, le magazine du sport automobile, Circuit Reims-Gueux,
2011 - Photo © Yannick Vallet
Fébrile, je m'arrête sur le bas-côté, vraisemblablement au niveau de ce qui devait être la grille de départ, et observe à travers mon pare-brise. À quelques mètres sur la droite s'élève l'ancien poste de chronométrage construit en 1953, baptisé Pavillon Lambert. Mais qu'est-ce donc exactement que le chronométrage ? En 1949, Charles Fourreau, secrétaire de la Commission sportive de l'A.C.F., l'expliquait ainsi dans une plaquette destinée au public : "L'équipe de chronométrage est composée comme suit :
Le pointeur qui relève la position des coureurs à chaque tour.
L'appeleur de numéros.
Le chronométreur qui prend le temps avec l'appareil.
Des teneurs de tableaux qui inscrivent le temps dans la colonne réservée à chaque coureur.
Les résultats sont immédiatement communiqués à la radio. Le public peut connaître ainsi, immédiatement, la position des voitures, les moyennes réalisées, le meilleur tour, etc..."
En face du Pavillon Lambert, de l'autre côté de la piste, se dressait l'ancien Pavillon des Speakers, mais celui-ci a disparu. Définitivement. Et derrière moi, dans le champ de betteraves se dressaient des pylônes d'éclairages, eux aussi démontés il y a bien longtemps.
Pavillon Lambert, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Mais alors, que reste-il précisément du légendaire circuit ?
Sur la gauche de la chaussée s'élèvent les tribunes, imposantes. Et sur la droite, un peu plus loin, ce sont les fameux stands de ravitaillement aux couleurs bariolées des sponsors. Des stands qui, enfant, me faisaient rêver lorsque le dimanche après-midi, assis entre mon frère et mon grand-père, je les découvrais sur le téléviseur familial. C'était à Silverstone, Monza, Spa ou Imola. Le circuit le plus dangereux de tous avait pour nom Nürburgring. Et les virages se nommaient Woodcote, Tamburello ou l'Eau Rouge !
Quand un caméraman avait eu (je m'imaginais) la chance de pouvoir s'approcher d'un de ces stands, je tendais le cou et observais avec fascination tout ce petit monde qui s'agitait devant moi. Des mécaniciens fébriles prêts à changer des roues en un éclair, des directeurs sportifs stressés ou inquiets et des pilotes parfois exténués. Les yeux rivés sur l'écran, j'essayais tant bien que mal de comprendre ce qui se tramait, en tentant de lire sur les lèvres de mes idoles la moindre phrase, le moindre mot, persuadé que les secrets de la course me seraient révélés. Mais c'était en vain. Je connaissais à peine trois mots d'anglais, et encore moins d'italien !
Mais alors, que reste-il précisément du légendaire circuit ?
Sur la gauche de la chaussée s'élèvent les tribunes, imposantes. Et sur la droite, un peu plus loin, ce sont les fameux stands de ravitaillement aux couleurs bariolées des sponsors. Des stands qui, enfant, me faisaient rêver lorsque le dimanche après-midi, assis entre mon frère et mon grand-père, je les découvrais sur le téléviseur familial. C'était à Silverstone, Monza, Spa ou Imola. Le circuit le plus dangereux de tous avait pour nom Nürburgring. Et les virages se nommaient Woodcote, Tamburello ou l'Eau Rouge !
Quand un caméraman avait eu (je m'imaginais) la chance de pouvoir s'approcher d'un de ces stands, je tendais le cou et observais avec fascination tout ce petit monde qui s'agitait devant moi. Des mécaniciens fébriles prêts à changer des roues en un éclair, des directeurs sportifs stressés ou inquiets et des pilotes parfois exténués. Les yeux rivés sur l'écran, j'essayais tant bien que mal de comprendre ce qui se tramait, en tentant de lire sur les lèvres de mes idoles la moindre phrase, le moindre mot, persuadé que les secrets de la course me seraient révélés. Mais c'était en vain. Je connaissais à peine trois mots d'anglais, et encore moins d'italien !
Les stands, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Ici à Gueux, enchâssé au milieu de ces drôles de boxes pour chevaux mécaniques, se dresse un bâtiment de trois étages, celui des restaurants sur piste. Encore un lieu mystérieux, un lieu où les gens importants, les notables de la région, les cadres de l'ACF et autres VIP de l'époque se réunissaient autour d'une bonne table. Un lieu où le champagne coulait à flot et où le petit monde influent des courses refaisait des carrières. Engageant des discussions autour de l'éviction prochaine d'un pilote ou des frasques récentes d'un autre. Parlant argent, sexe et rivalités. Enfin, c'est ce que je m'imaginais depuis que j'avais découvert GRAND PRIX1. le film de John Frankenheimer.
Restaurants sur piste, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
À ses pieds, les stands continuaient sur plusieurs dizaines de mètres, jusqu'au fameux pneu géant aux couleurs de Dunlop, qui enjambait la piste. Mais aujourd'hui, seuls quelques stands de ravitaillement subsistent encore, laissant ainsi la place à l'immense tableau d'affichage qui déploie son envergure sur 24 mètres. Repeint il y a quelques années, il aurait d'ailleurs bien besoin d'une véritable restauration digne de ce nom. Comme pour le reste du site, inscrit au titre des monuments historiques depuis 2009, une campagne d'appel à don sous l'égide de la Fondation du Patrimoine est en cours. Ce programme de réhabilitation est le fruit du travail effectué par l'association Les Amis du Circuit de Gueux et de quelques passionnés du coin ...
À Reims, il y a le Champagne mais il y a aussi le circuit. Et pendant des années, même si aujourd'hui bon nombre de français l'ont oublié, les deux étaient indissociables et collaient fièrement à l'image de la région.
Restaurants sur piste, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Tout à côté du panneau d'affichage, se dresse la centrale des carburants dont les réservoirs permettent de distribuer simultanément deux carburants différents aux 45 stands de ravitaillement. Une plateforme construite par la vieille anglaise BP (encore elle !) spécialement pour le circuit…
De l'autre côté du tarmac, face aux stands de ravitaillement, ce sont les tribunes couvertes, au nombre de quatre mais dont la première, plus petite, est réservée à la presse. Plus petite certes, mais séparée des trois autres - celles du public - par le tunnel qui mène au paddock. Même à l'époque déjà, on ne mélangeait pas. Les journalistes avaient leur prè-carré "au calme" et à quelques distances du peuple.
Les trois autres tribunes - Sommer, Wimille et Benoist - portent les noms de trois des plus grands coureurs automobiles français de la première moitié du XXe siècle, décédés tragiquement. Sur leurs bancs en béton ce sont près de 4.000 personnes qui s'asseyaient là, souvent dans la chaleur étouffante de ce début d'été.
Raymond Sommer, pilote de 1932 à 1950, est mort à l'âge de 44 ans dans un accident de Formule 3 sur le circuit de Cadours. Jean-Pierre Wimille lui, s'est tué en 1949, à l'âge de 41 ans, lors des essais pour le Grand Prix de Buenos Aires. André Benoist, pilote talentueux de l'entre-deux-guerres, est mort à 49 ans dans le camp de Buchenwald après avoir été engagé comme agent des Services Secrets Britaniques.
Les fantômes de la compétition automobile semblent bien s'être invités à Reims.
Les tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Au-dessous des premiers gradins, une immense salle pour 800 couverts était aménagée afin de permettre au public d'assister aux courses tout en se restaurant. En 1949 au menu, et pour 650 francs, Œufs en gelée, Pâté Champenois en croûte, Poularde rôtie, Macédoine de légumes, Jambon avec salade de saison, Glace pralinée et Biscuits de Reims. Et même si on s'adressait ici aux plus argentés des spectateurs, rien à voir bien sûr avec les menus gastronomiques des restaurants sur piste.
De toute façon, un peu partout, sur le vaste domaine qu'occupait le circuit, chacun pouvait se restaurer en fonction de son porte-monnaie. Seule constante, tous les champagnes des grandes marques sont en vente dans tous les buffets, au prix de 600 francs la bouteille2. Quand même !
Buffet-bar-buvette, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Tribune de presse, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Raymond Sommer, pilote de 1932 à 1950, est mort à l'âge de 44 ans dans un accident de Formule 3 sur le circuit de Cadours. Jean-Pierre Wimille lui, s'est tué en 1949, à l'âge de 41 ans, lors des essais pour le Grand Prix de Buenos Aires. André Benoist, pilote talentueux de l'entre-deux-guerres, est mort à 49 ans dans le camp de Buchenwald après avoir été engagé comme agent des Services Secrets Britaniques.
Les fantômes de la compétition automobile semblent bien s'être invités à Reims.
Les tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Au-dessous des premiers gradins, une immense salle pour 800 couverts était aménagée afin de permettre au public d'assister aux courses tout en se restaurant. En 1949 au menu, et pour 650 francs, Œufs en gelée, Pâté Champenois en croûte, Poularde rôtie, Macédoine de légumes, Jambon avec salade de saison, Glace pralinée et Biscuits de Reims. Et même si on s'adressait ici aux plus argentés des spectateurs, rien à voir bien sûr avec les menus gastronomiques des restaurants sur piste.
De toute façon, un peu partout, sur le vaste domaine qu'occupait le circuit, chacun pouvait se restaurer en fonction de son porte-monnaie. Seule constante, tous les champagnes des grandes marques sont en vente dans tous les buffets, au prix de 600 francs la bouteille2. Quand même !
Buffet-bar-buvette, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Après les tribunes couvertes, et même au-delà de la fameuse passerelle Dunlop, s'étendaient d'autres tribunes, découvertes celles-là. Puis de simples gradins, jusqu'au virage du Calvaire, juste avant l'entrée dans le village de Gueux. Des installations qui pouvaient accueillir encore des milliers de personnes, des familles joyeuses, excitées, parfois assoiffées ou affamées qu'il fallait bien satisfaire. Et si tout ce beau monde consommait plus que de raison, il fallait bien aussi qu'il se soulage. D'où de nombreux sanitaires disposés stratégiquement à divers endroits du site !
Latrines du garage des tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Car derrière les tribunes, ce sont bien des champs qui s'étendent à perte de vue. Des champs de milliers de voitures, donnant accès directement aux installations toutes proches. Des parkings improvisés qui vus du ciel, pouvaient faire penser aux drive-in américains. Ces cinémas en plein air si prisés dans les années 50 et 60, où l'on venait en famille dépenser l'argent de la semaine. Spectacle, nourriture et frisson, la Sainte Trinité des belles années de la société de consommation. Sauf qu'ici, à Reims, le spectacle était bien réel, palpable même. Les enjeux étaient ceux de la vraie vie. Et parfois de la mort. Et les héros n'étaient pas fabriqués par Hollywood. Quoique … En 1955, sort sur les écrans THE RACERS - en français LE CERCLE INFERNAL3. - un film de Henry Hathaway avec Kirk Douglas et dont les dernières séquences ont été tournées ici même. Sauf qu'aucune des stars américaines n'a jamais mis les pieds sur le circuit de Reims, ni même en Europe4. Tous les plans serrés sur les personnages conduisant leurs bolides ont en effet été tournés en studio, devant un écran de transparence. Pour des raisons d'organisation et de coût, les acteurs n'ont donc jamais quitté la Californie !
Tribune de presse côté parking, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
J'en suis là de mes souvenirs de cinéphile, à contempler cette longue barre de béton, perdue au milieu des champs d'orge et de betterave, quand mon ventre se met à gargouiller. Je reprends donc le volant direction Gueux et l'ancien tracé du circuit qui, jusqu'en 1952, passait carrément au milieu des habitations. En 1953, on modifia le parcours afin de contourner le village. En l'espace de trois petits mois, non seulement près de 4 kilomètres de piste seront créés, mais surtout, on donnera au circuit le visage qu'il a encore aujourd'hui.
Une nouvelle tribune et de nouveaux gradins sont construits. L'ancien poste de chronométrage devient le restaurant de piste. Le pavillon André Lambert est lui aussi construit, ainsi que le fameux Pavillon de presse comprenant un bar et un restaurant réservés aux journalistes, 12 cabines téléphoniques, le service télégraphique. On creuse un tunnel qui permettra aux voitures particulières de passer sous la route du circuit5. Tout ça pour un coup total de 200 millions de francs.
Impensables aujourd'hui, ces travaux gigantesques menés de main de maître par Raymond Roche, le créateur du circuit, et la SACR, la Société Anonyme des Circuits de Reims, vont permettre au lieu de devenir une référence européenne pour les quinze années à venir.
Seule ombre au tableau, lors de l'inauguration du nouveau circuit par la toute première édition des 12 Heures Internationales de Reims, une première victime est à déplorer. Francis Durand, qui faisait équipe avec René Cotton sur sa Panhard D.B. N° 37, ne prendra pas le départ. Son accident l'avant veille, lors des essais, devait inaugurer une longue série…
Étonnement, il est très difficile aujourd'hui de trouver des informations sur cet événement malheureux. Certes, Durand ne décèdera que quelques jours plus tard dans un hôpital parisien. Mais de l'accident il n'est rien dit, dans presqu'aucun des papiers de l'époque. Seul L'Auto-Journal semble en avoir parlé. Est-ce parce que les journalistes avaient bien d'autres sujets plus festifs à traiter ? Probable. Est-ce parce que cet accident faisait un peu désordre dans le beau tableau de l'époque6, qu'il fut plus ou moins passé sous silence ? À vérifier. Les nouvelles infrastructures, le circuit flambant neuf, la première édition des 12 Heures de Reims, la venue une nouvelle fois du grand Fangio, tout concourait pour faire de ce premier week-end de juillet, le plus beau de l'année …
Traces de l'ancien chronométrage, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Après les tribunes couvertes, et même au-delà de la fameuse passerelle Dunlop, s'étendaient d'autres tribunes, découvertes celles-là. Puis de simples gradins, jusqu'au virage du Calvaire, juste avant l'entrée dans le village de Gueux. Des installations qui pouvaient accueillir encore des milliers de personnes, des familles joyeuses, excitées, parfois assoiffées ou affamées qu'il fallait bien satisfaire. Et si tout ce beau monde consommait plus que de raison, il fallait bien aussi qu'il se soulage. D'où de nombreux sanitaires disposés stratégiquement à divers endroits du site !
Latrines du garage des tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Car derrière les tribunes, ce sont bien des champs qui s'étendent à perte de vue. Des champs de milliers de voitures, donnant accès directement aux installations toutes proches. Des parkings improvisés qui vus du ciel, pouvaient faire penser aux drive-in américains. Ces cinémas en plein air si prisés dans les années 50 et 60, où l'on venait en famille dépenser l'argent de la semaine. Spectacle, nourriture et frisson, la Sainte Trinité des belles années de la société de consommation. Sauf qu'ici, à Reims, le spectacle était bien réel, palpable même. Les enjeux étaient ceux de la vraie vie. Et parfois de la mort. Et les héros n'étaient pas fabriqués par Hollywood. Quoique … En 1955, sort sur les écrans THE RACERS - en français LE CERCLE INFERNAL3. - un film de Henry Hathaway avec Kirk Douglas et dont les dernières séquences ont été tournées ici même. Sauf qu'aucune des stars américaines n'a jamais mis les pieds sur le circuit de Reims, ni même en Europe4. Tous les plans serrés sur les personnages conduisant leurs bolides ont en effet été tournés en studio, devant un écran de transparence. Pour des raisons d'organisation et de coût, les acteurs n'ont donc jamais quitté la Californie !
Tribune de presse côté parking, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
J'en suis là de mes souvenirs de cinéphile, à contempler cette longue barre de béton, perdue au milieu des champs d'orge et de betterave, quand mon ventre se met à gargouiller. Je reprends donc le volant direction Gueux et l'ancien tracé du circuit qui, jusqu'en 1952, passait carrément au milieu des habitations. En 1953, on modifia le parcours afin de contourner le village. En l'espace de trois petits mois, non seulement près de 4 kilomètres de piste seront créés, mais surtout, on donnera au circuit le visage qu'il a encore aujourd'hui.
Une nouvelle tribune et de nouveaux gradins sont construits. L'ancien poste de chronométrage devient le restaurant de piste. Le pavillon André Lambert est lui aussi construit, ainsi que le fameux Pavillon de presse comprenant un bar et un restaurant réservés aux journalistes, 12 cabines téléphoniques, le service télégraphique. On creuse un tunnel qui permettra aux voitures particulières de passer sous la route du circuit5. Tout ça pour un coup total de 200 millions de francs.
Impensables aujourd'hui, ces travaux gigantesques menés de main de maître par Raymond Roche, le créateur du circuit, et la SACR, la Société Anonyme des Circuits de Reims, vont permettre au lieu de devenir une référence européenne pour les quinze années à venir.
Seule ombre au tableau, lors de l'inauguration du nouveau circuit par la toute première édition des 12 Heures Internationales de Reims, une première victime est à déplorer. Francis Durand, qui faisait équipe avec René Cotton sur sa Panhard D.B. N° 37, ne prendra pas le départ. Son accident l'avant veille, lors des essais, devait inaugurer une longue série…
Étonnement, il est très difficile aujourd'hui de trouver des informations sur cet événement malheureux. Certes, Durand ne décèdera que quelques jours plus tard dans un hôpital parisien. Mais de l'accident il n'est rien dit, dans presqu'aucun des papiers de l'époque. Seul L'Auto-Journal semble en avoir parlé. Est-ce parce que les journalistes avaient bien d'autres sujets plus festifs à traiter ? Probable. Est-ce parce que cet accident faisait un peu désordre dans le beau tableau de l'époque6, qu'il fut plus ou moins passé sous silence ? À vérifier. Les nouvelles infrastructures, le circuit flambant neuf, la première édition des 12 Heures de Reims, la venue une nouvelle fois du grand Fangio, tout concourait pour faire de ce premier week-end de juillet, le plus beau de l'année …
Traces de l'ancien chronométrage, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Après ma pause déjeuner, près d'un lac à canards posé au milieu d'un charmant village endormi, je reprends l'ancien tracé du circuit en remontant la rue de la gare, et rejoins la D26. Puis je vais voir d'un peu plus prés à quoi ressemble ce fameux virage du Calvaire, autrement appelé "virage d'évitemment de Gueux". Mais arrivé au rond-point, point de Calvaire. Je retourne donc sur mes pas, et attaque le virage dans le sens de la course, sereinement. Quand là, sur ma gauche (je ne l'avais pas vu en passant dans l'autre sens) j'aperçois un bouquet, planté sur une petite pancarte. Je pile brutalement, recule et vais me garer à l'entrée du chemin que je viens de dépasser. En m'approchant, je me rends compte que la pancarte est aux couleurs de l'Italie et que le bouquet est fait de fleurs artificielles. Les inscriptions ne laissent plus de place à mes doutes, je suis sur le lieu même de l'accident de Luigi Musso qui en 1958 rata ici le virage au volant de sa Ferrari. Cette année-là, alors qu'il a joué et perdu au jeu de grosses sommes d'argent, et qu'il a des dettes auprès de la mafia, le pilote italien ne se donne pas le choix. Il doit gagner, coûte que coûte, afin d'empocher le gain substantiel de la course. Malheureusement, le destin en a décidé autrement et après avoir à peine commencé son dixième tour, Luigi Musso, à près de 250 km/h, quitte la route en tonneaux et va s'écraser cent mètres plus loin dans un champ de blé. Il décèdera peu de temps après à l'hôpital de Reims.
L'italien n'est pas le seul à s'être fait prendre par cette courbe mortelle. Et d'autres fantômes errent encore aujourd'hui le long de cette portion du circuit. L'américain Herbert McKay-Fraser en a fait les frais l'année précédente à bord de sa Lotus. Il venait tout juste de fêter ses trente ans.
En 1962, c'est le plus jeune de tous, le canadien Peter Ryan, 22 ans, qui au volant de sa Lotus jaune et verte va s'écraser non loin de là, suite à un accrochage avec l'anglais Bill Moss.
Les voilà donc mes fantômes. Que dire ? Que faire ? Prendre une photo de cet instant, pardon, de cet endroit tragique, me semble le minimum. Et pourquoi l'italien a droit à sa "plaque" et pas les deux autres ? Parce qu'il était plus connu ? Parce qu'il a couru avec Fangio ? Parce que lui, au contraire des deux autres, courait dans un Grand Prix ?
Au milieu des pistes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Je reprends ma voiture et, un peu triste, m'approche de la deuxième courbe mortelle. Celle qui est pour beaucoup dans la réputation du circuit. Presqu'un film à elle toute seule. Une histoire entrée dans la légende et construite comme un mélodrame ! Au lieu de remonter la D26 vers la Nationale 31 je fonce tout droit, empruntant le sens interdit - à 500 m ! - pour cause de cul-de-sac. Je me retrouve seul sur cette portion de route déserte, au beau milieu des champs, comme si j'avais voyagé dans le temps. Soudain, je sens un souffle violent, rapide. La Porsche Spyder d'Annie Bousquet vient de me frôler à plus de 170 km/h. Subitement, ses roues gauches sortent de la piste et la voiture, violemment déséquilibrée, part en vrille pour aller s'écraser quelques mètres plus loin, dans un champ de blé. Éjectant sa pilote hors de l'habitacle. Fin du rêve et fin de la course pour cette toute jeune femme qui décèdera finalement au CHU de Reims des suites de ses blessures. Annie Bousquet avait déjà eu, trois ans auparavant, un grave accident qui l'avait cloué un mois sur un lit d'hôpital. Mais ça n'avait pas suffi pour la faire renoncer. Ce matin de juin 1956, alors qu'elle était veuve depuis peu de temps, elle n'avait semble-t-il pas dormi les nuits précédentes et paraissait épuisée. Le circuit ne lui a laissé aucune chance. Elle est la seule femme pilote de toute l'histoire de la compétition automobile à avoir péri en course.
Désormais son fantôme a un lieu pour se recueillir, le virage a pris son nom.
Drôle de décision dans le monde des courses. À la suite de cet accident, les organisateurs du Mans décidèrent d'interdire les compétitions aux femmes. Curieux ...
Ici, en juillet 1964, Jean-Pierre Beltoise aura, lui, beaucoup plus de chance. En pleine nuit, son bolide glisse sur une tache d'essence qu'il ne peut éviter. Il perd le contrôle de sa voiture. Celle-ci quitte la route et prend feu. Finalement, il ne doit la vie sauve qu'au faisceau de la lampe d'un commissaire de course qui le découvrit par hasard à plusieurs mètres de là, alors qu'il avait été éjecté de son véhicule. Très salement amoché, il s'en sortira.
Deux ans plus tard, le pilote Daniel Belot eut, au même endroit, beaucoup moins de chance …
Courbe Annie Bousquet, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Deux virages. Cinq victimes. Le bilan s'alourdit et l'ambiance devient pesante. Je pars explorer la suite de cette portion de circuit, mais j'arrive bien vite au bout du bout. La chaussée a été ici amputée d'une grosse partie de sa longueur et devant moi, le bitume s'arrête net au milieu des labours. Il prend fin au niveau de ce troisième virage qui, lui, n'a tué aucun pilote. Le seul virage innocent de tout le circuit a été puni pour le mal que tous les autres ont fait. Il ne pourra plus désormais rejoindre le virage de Muizon, à quelques centaines de mètres plus loin…
Luigi Musso, 6 juillet 1958, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
L'italien n'est pas le seul à s'être fait prendre par cette courbe mortelle. Et d'autres fantômes errent encore aujourd'hui le long de cette portion du circuit. L'américain Herbert McKay-Fraser en a fait les frais l'année précédente à bord de sa Lotus. Il venait tout juste de fêter ses trente ans.
En 1962, c'est le plus jeune de tous, le canadien Peter Ryan, 22 ans, qui au volant de sa Lotus jaune et verte va s'écraser non loin de là, suite à un accrochage avec l'anglais Bill Moss.
Les voilà donc mes fantômes. Que dire ? Que faire ? Prendre une photo de cet instant, pardon, de cet endroit tragique, me semble le minimum. Et pourquoi l'italien a droit à sa "plaque" et pas les deux autres ? Parce qu'il était plus connu ? Parce qu'il a couru avec Fangio ? Parce que lui, au contraire des deux autres, courait dans un Grand Prix ?
Au milieu des pistes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Je reprends ma voiture et, un peu triste, m'approche de la deuxième courbe mortelle. Celle qui est pour beaucoup dans la réputation du circuit. Presqu'un film à elle toute seule. Une histoire entrée dans la légende et construite comme un mélodrame ! Au lieu de remonter la D26 vers la Nationale 31 je fonce tout droit, empruntant le sens interdit - à 500 m ! - pour cause de cul-de-sac. Je me retrouve seul sur cette portion de route déserte, au beau milieu des champs, comme si j'avais voyagé dans le temps. Soudain, je sens un souffle violent, rapide. La Porsche Spyder d'Annie Bousquet vient de me frôler à plus de 170 km/h. Subitement, ses roues gauches sortent de la piste et la voiture, violemment déséquilibrée, part en vrille pour aller s'écraser quelques mètres plus loin, dans un champ de blé. Éjectant sa pilote hors de l'habitacle. Fin du rêve et fin de la course pour cette toute jeune femme qui décèdera finalement au CHU de Reims des suites de ses blessures. Annie Bousquet avait déjà eu, trois ans auparavant, un grave accident qui l'avait cloué un mois sur un lit d'hôpital. Mais ça n'avait pas suffi pour la faire renoncer. Ce matin de juin 1956, alors qu'elle était veuve depuis peu de temps, elle n'avait semble-t-il pas dormi les nuits précédentes et paraissait épuisée. Le circuit ne lui a laissé aucune chance. Elle est la seule femme pilote de toute l'histoire de la compétition automobile à avoir péri en course.
Désormais son fantôme a un lieu pour se recueillir, le virage a pris son nom.
Drôle de décision dans le monde des courses. À la suite de cet accident, les organisateurs du Mans décidèrent d'interdire les compétitions aux femmes. Curieux ...
Ici, en juillet 1964, Jean-Pierre Beltoise aura, lui, beaucoup plus de chance. En pleine nuit, son bolide glisse sur une tache d'essence qu'il ne peut éviter. Il perd le contrôle de sa voiture. Celle-ci quitte la route et prend feu. Finalement, il ne doit la vie sauve qu'au faisceau de la lampe d'un commissaire de course qui le découvrit par hasard à plusieurs mètres de là, alors qu'il avait été éjecté de son véhicule. Très salement amoché, il s'en sortira.
Deux ans plus tard, le pilote Daniel Belot eut, au même endroit, beaucoup moins de chance …
Courbe Annie Bousquet, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Deux virages. Cinq victimes. Le bilan s'alourdit et l'ambiance devient pesante. Je pars explorer la suite de cette portion de circuit, mais j'arrive bien vite au bout du bout. La chaussée a été ici amputée d'une grosse partie de sa longueur et devant moi, le bitume s'arrête net au milieu des labours. Il prend fin au niveau de ce troisième virage qui, lui, n'a tué aucun pilote. Le seul virage innocent de tout le circuit a été puni pour le mal que tous les autres ont fait. Il ne pourra plus désormais rejoindre le virage de Muizon, à quelques centaines de mètres plus loin…
Photo © Yannick Vallet
Je reprends la D26, partie de tracé abandonné après 1953, pour rejoindre la Nationale et aller voir de plus près s'il reste des traces du virage de Muizon. Après guerre, sur cette ancienne portion du circuit, de chaque côté de la piste, se trouvaient les Pelouses de la Garenne. D'immenses parkings pour 5.000 véhicules, reliés par une passerelle. Avant, dans les années 20, on y avait installé une buvette ! Mais aujourd'hui, plus aucune trace de tout ça. Même l'ancien camping, situé à l'emplacement du petit bois, a disparu.
Je débouche sur la N31 qui maintenant n'a plus rien à voir avec la route des années 60. Ligne droite ultrarapide pour poids lourds pressés, cette route nationale parfois sur deux voies souvent sur quatre, est bruyante, agressive et violente. Le contraste avec la campagne environnante est saisissant. Et lorsque je dois m'arrêter au niveau du fameux virage, je renonce. Impossible. Trop dangereux. Je dois faire à nouveau le grand tour et stationner un kilomètre au-dessus afin de m'y rendre à pied.
Calé contre la barrière de sécurité, je tourne le dos à la route. Aussi loin que mon regard puisse porter ce sont des champs, des bois, des champs, encore quelques bois et encore des champs. Le village de Gueux. Et plus loin encore, barrant l'horizon, le Parc Naturel de la Montage de Reims. Et sous mes pieds, l'ancien Tarmacadam du circuit réalisé par l'Entreprise Albert Cochery, avec ses lignes jaunes datant des années 60. Extrait de l'article de L'Action Automobile et Touristique de 1953 : La route est construite suivant les procédés et formules les plus récemment admis 0,10m à 0,15 m de sol compacté, 0,25 m de grève compactée, 0,10 m de gros surmacadam et 0,04 m de Tarmacadam fin étendu à la Barber Green7, le tout entrepris par les établissements Albert Cochery.
Arrivant de nulle part, ce vestige du XXe siècle, ce fameux virage de Muizon gît là, indifférent aux saisons, indifférent au temps qui passe.
Virage de Muizon, Circuit de Reims Gueux, 2011
Je débouche sur la N31 qui maintenant n'a plus rien à voir avec la route des années 60. Ligne droite ultrarapide pour poids lourds pressés, cette route nationale parfois sur deux voies souvent sur quatre, est bruyante, agressive et violente. Le contraste avec la campagne environnante est saisissant. Et lorsque je dois m'arrêter au niveau du fameux virage, je renonce. Impossible. Trop dangereux. Je dois faire à nouveau le grand tour et stationner un kilomètre au-dessus afin de m'y rendre à pied.
Calé contre la barrière de sécurité, je tourne le dos à la route. Aussi loin que mon regard puisse porter ce sont des champs, des bois, des champs, encore quelques bois et encore des champs. Le village de Gueux. Et plus loin encore, barrant l'horizon, le Parc Naturel de la Montage de Reims. Et sous mes pieds, l'ancien Tarmacadam du circuit réalisé par l'Entreprise Albert Cochery, avec ses lignes jaunes datant des années 60. Extrait de l'article de L'Action Automobile et Touristique de 1953 : La route est construite suivant les procédés et formules les plus récemment admis 0,10m à 0,15 m de sol compacté, 0,25 m de grève compactée, 0,10 m de gros surmacadam et 0,04 m de Tarmacadam fin étendu à la Barber Green7, le tout entrepris par les établissements Albert Cochery.
Arrivant de nulle part, ce vestige du XXe siècle, ce fameux virage de Muizon gît là, indifférent aux saisons, indifférent au temps qui passe.
Virage de Muizon, Circuit de Reims Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
La nationale, avec sa descente de la Garenne, faisait de ce circuit un des plus rapides d'Europe. Après l'autre pneu Dunlop, qui enjambait la piste au niveau de la D26, les bolides fonçaient à plus de 250 km/h en direction du virage de Thillois. Mais la vitesse a ses risques et en 1957, Bill Whitehouse y a laissé sa vie. Rapport de la direction des courses : Le 14 juillet vers 14 heures 07. À environ 500 mètres avant le virage de Thillois, la voiture N°34 circulant sur la partie droite de la piste a eu son pneu arrière droit déjanté, […] le véhicule brutalement tiré par l’arrière droit a pivoté et franchissant le champ bordant la route pour, après plusieurs tonneaux, exploser et s’enflammer. Le britannique sera évacué en hélicoptère et décèdera de ses blessures.
En juillet 1959, c'est Claude Storez qui se tuera un peu plus loin, juste dans le virage, avec une Porshe pratiquement identique à celle d'Annie Bousquet.
Aujourd'hui le virage des origines a disparu, remplacé par un rond-point particulièrement laid. Monticule herbeux, cerclé de béton et de bitume. L'Auberge de la Garenne, seule rescapée ici de la grande époque, possédait ses propres balcons sur lesquels on pouvait se restaurer tout en regardant la course. Il faut dire que son emplacement, exactement dans la perspective de la ligne droite des tribunes, était particulièrement privilégié.
Mon tour de circuit s'achève, mais il me reste encore un petit territoire à explorer. Le grand espace du paddock, juste derrière les stands de ravitaillement.
Entrant sur le terrain, j'ai l'impression de passer derrière l'écran. Au cœur de l'histoire. Le bâtiment qui m'intrigue le plus est celui qui porte la mention PARC STAND DES MARQUES. Il s'agit en fait de ce que l'on appelait aussi les Salons de réception du Bloc Habitat où l'Automobile Club de Champagne y avait ses meubles et sur le toit desquels flottait le drapeau BP (décidément) ! Mais ces petits salons très chics étaient aussi une sorte de vitrine pour les sociétés les plus en vue de la région et les sponsors importants. Des petits salons où le champagne était, pour les plus privilégiés, (presque) à volonté.
Le bloc habitat, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Traversant le grand espace vide de l'ancien paddock, je me dirige vers le fond du terrain, là où avait été édifié le restaurant officiel du circuit, La Grillade et la Broche. Un club-house avec pergolas et rosiers grimpants. Tout un programme. Mais la nature a repris ses droits et les petits arbustes d'antan sont devenus arbres. Me glissant dans l'enceinte dont il ne reste plus grand chose, je découvre un sol tapissé de lierre et, par-ci, par-là, quelques vestiges de l'établissement. Des bouts de mur, des restes de poteaux métalliques, des parpaings recouverts de mousse. Il me semble d'ailleurs que c'est dans ce genre d'endroit que s'enracinent les légendes. Celles qu'on fabrique avec des morceaux du passé et des bribes de mémoire. Les légendes ou l'Histoire. La nostalgie ou le souvenir. La mélancolie ou la mémoire. Comment choisir ?
Clôture, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
À l'extrémité de cet enclos invisible, je découvre une imposante cheminée pour le moins pittoresque : la rôtisserie en plein air ! Et de l'autre côté, adossée à son mur de brique, ce que je prends tout d'abord pour une petite cheminée cosy. Ce qui m'induit en erreur ce sont ces cendres, que certains y ont laissées. Sauf qu'à l'époque, personne n'a jamais fait de feu à cet endroit-là. Et pour cause. Il s'agit de la chapelle, elle aussi en plein air ! Un lieu de culte et de recueillement où l'on disait parfois la messe. Histoire de s'en remettre à Dieu et au destin …
La chapelle en plein air, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
La journée se termine. Il va me falloir rentrer sur Paris. J'emprunte le chemin qui me ramène sur la piste. Je croise à nouveau un bloc sanitaire, en sale état. Un transformateur et son poteau en béton. Et puis la maison du gardien, dont il ne reste (à peine) que quatre murs.
Il me reste encore des milliers de choses à photographier. Je reviendrai donc pour faire le tour du circuit en prenant mon temps. À pied. Un autre jour.
Pendant ces quelques heures passées au cœur d'une légende, j'ai l'impression d'avoir parfois frôler l'intangible. Tous ces bâtiments. Ces courbes. Ces ruines. Ce bitume. L'âme des pilotes était souvent-là, l'âme du circuit aussi. Et puis ses fantômes également. Tous un peu tristes de n'avoir pas fini leur prometteuse carrière sur une ligne d'arrivée, adulés par la foule.
Quelque soit l'avenir du Circuit, ces huit-là feront toujours partis de la légende. Parce qu'ils ne sont plus. Parce qu'ils font partie d'une aventure humaine. Pour l'éternité.
La nationale, avec sa descente de la Garenne, faisait de ce circuit un des plus rapides d'Europe. Après l'autre pneu Dunlop, qui enjambait la piste au niveau de la D26, les bolides fonçaient à plus de 250 km/h en direction du virage de Thillois. Mais la vitesse a ses risques et en 1957, Bill Whitehouse y a laissé sa vie. Rapport de la direction des courses : Le 14 juillet vers 14 heures 07. À environ 500 mètres avant le virage de Thillois, la voiture N°34 circulant sur la partie droite de la piste a eu son pneu arrière droit déjanté, […] le véhicule brutalement tiré par l’arrière droit a pivoté et franchissant le champ bordant la route pour, après plusieurs tonneaux, exploser et s’enflammer. Le britannique sera évacué en hélicoptère et décèdera de ses blessures.
En juillet 1959, c'est Claude Storez qui se tuera un peu plus loin, juste dans le virage, avec une Porshe pratiquement identique à celle d'Annie Bousquet.
Aujourd'hui le virage des origines a disparu, remplacé par un rond-point particulièrement laid. Monticule herbeux, cerclé de béton et de bitume. L'Auberge de la Garenne, seule rescapée ici de la grande époque, possédait ses propres balcons sur lesquels on pouvait se restaurer tout en regardant la course. Il faut dire que son emplacement, exactement dans la perspective de la ligne droite des tribunes, était particulièrement privilégié.
Mon tour de circuit s'achève, mais il me reste encore un petit territoire à explorer. Le grand espace du paddock, juste derrière les stands de ravitaillement.
Un gardien, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Le bloc habitat, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
Traversant le grand espace vide de l'ancien paddock, je me dirige vers le fond du terrain, là où avait été édifié le restaurant officiel du circuit, La Grillade et la Broche. Un club-house avec pergolas et rosiers grimpants. Tout un programme. Mais la nature a repris ses droits et les petits arbustes d'antan sont devenus arbres. Me glissant dans l'enceinte dont il ne reste plus grand chose, je découvre un sol tapissé de lierre et, par-ci, par-là, quelques vestiges de l'établissement. Des bouts de mur, des restes de poteaux métalliques, des parpaings recouverts de mousse. Il me semble d'ailleurs que c'est dans ce genre d'endroit que s'enracinent les légendes. Celles qu'on fabrique avec des morceaux du passé et des bribes de mémoire. Les légendes ou l'Histoire. La nostalgie ou le souvenir. La mélancolie ou la mémoire. Comment choisir ?
Clôture, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
À l'extrémité de cet enclos invisible, je découvre une imposante cheminée pour le moins pittoresque : la rôtisserie en plein air ! Et de l'autre côté, adossée à son mur de brique, ce que je prends tout d'abord pour une petite cheminée cosy. Ce qui m'induit en erreur ce sont ces cendres, que certains y ont laissées. Sauf qu'à l'époque, personne n'a jamais fait de feu à cet endroit-là. Et pour cause. Il s'agit de la chapelle, elle aussi en plein air ! Un lieu de culte et de recueillement où l'on disait parfois la messe. Histoire de s'en remettre à Dieu et au destin …
La chapelle en plein air, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
La journée se termine. Il va me falloir rentrer sur Paris. J'emprunte le chemin qui me ramène sur la piste. Je croise à nouveau un bloc sanitaire, en sale état. Un transformateur et son poteau en béton. Et puis la maison du gardien, dont il ne reste (à peine) que quatre murs.
Il me reste encore des milliers de choses à photographier. Je reviendrai donc pour faire le tour du circuit en prenant mon temps. À pied. Un autre jour.
Pendant ces quelques heures passées au cœur d'une légende, j'ai l'impression d'avoir parfois frôler l'intangible. Tous ces bâtiments. Ces courbes. Ces ruines. Ce bitume. L'âme des pilotes était souvent-là, l'âme du circuit aussi. Et puis ses fantômes également. Tous un peu tristes de n'avoir pas fini leur prometteuse carrière sur une ligne d'arrivée, adulés par la foule.
Quelque soit l'avenir du Circuit, ces huit-là feront toujours partis de la légende. Parce qu'ils ne sont plus. Parce qu'ils font partie d'une aventure humaine. Pour l'éternité.
FIN
1 Le film est sorti en 1966, l'année du dernier Grand Prix de France disputé sur le Circuit de Reims.
7 La Barber Green est une énorme machine de fabrication américaine qui sert à étendre les revêtements de route. Le vert est la couleur typique de cette marque.
2 Extrait du programme officiel de 1949
3 Le livre dont est tiré le film est un roman de Hans Ruesch édité en France chez Robert Laffont l'année de sortie du film. Ecrivain suisse, ancien pilote de course des années 30, Ruesch a gagné plusieurs Grands Prix. Romancier à succès, il a été de nombreuses fois adapté au cinéma. Il est mort en 2007.
4 La lutte que se livrent les deux pilotes du film se passe durant les Grands Prix Européens.
5 Article de R. Dhennin dans L'Action Automobile et Touristique de Mai 1953
3 Le livre dont est tiré le film est un roman de Hans Ruesch édité en France chez Robert Laffont l'année de sortie du film. Ecrivain suisse, ancien pilote de course des années 30, Ruesch a gagné plusieurs Grands Prix. Romancier à succès, il a été de nombreuses fois adapté au cinéma. Il est mort en 2007.
4 La lutte que se livrent les deux pilotes du film se passe durant les Grands Prix Européens.
5 Article de R. Dhennin dans L'Action Automobile et Touristique de Mai 1953
6 Les secours ont eu "un peu de mal" à arriver : les ambulanciers n'arrivaient pas à faire démarrer leur ambulance et les pompiers avaient perdu leurs casques. Arrivés sur les lieux de l'accident une demie heure plus tard, les pompiers se rendirent compte que leurs extincteurs ne fonctionnaient pas.
Un grand merci à toutes mes sources de renseignements qui m'ont permis de me documenter.
À commencer par le site des Amis du Circuit de Gueux et les textes de Laurent Rivière.
Le forum Autodiva et les pépites des passionnés Sylvain Régnier, Laurent Voivret, Thierry Gil ainsi que de l'Automobile Club des Lions.
Et enfin les textes du Pr Reimsparing, de Christian Courtel et de Philippe Vogel, sur le blog Mémoire des Stands, animé par Patrice Vatan.
Et à tous les autres, très nombreux, dont j'ai pu croiser les mots et les images au hasard de mes recherches sur la toile.
Et bien sûr, à Olivier Hodasava et son Dreamlands, là où tout a commencé un jour de mai 2011.
Shell, Circuit Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Pour consulter les épisodes tels qu'ils sont parus séparément, cliquer sur #1, #2, #3, #4, #5, Bonus.