Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


23 novembre 2011

Circuit de Reims-Gueux #3

Ou comment je découvre une organisation à l'américaine.

De l'autre côté du tarmac, face aux stands de ravitaillement, ce sont les tribunes couvertes, au nombre de quatre mais dont la première, plus petite, est réservée à la presse. Plus petite certes, mais séparée des trois autres - celles du public - par le tunnel qui mène au paddock. Même à l'époque déjà, on ne mélangeait pas. Les journalistes avaient leur prè-carré "au calme" et à quelques distances du peuple.

Tribune de presse, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Les trois autres tribunes - Sommer, Wimille et Benoist - portent les noms de trois des plus grands coureurs automobiles français de la première moitié du XXe siècle, décédés tragiquement. Sur leurs bancs en béton ce sont près de 4.000 personnes qui s'asseyaient là, souvent dans la chaleur étouffante de ce début d'été.
Raymond Sommer, pilote de 1932 à 1950, est mort à l'âge de 44 ans dans un accident de Formule 3 sur le circuit de Cadours. Jean-Pierre Wimille lui, s'est tué en 1949, à l'âge de 41 ans, lors des essais pour le Grand Prix de Buenos Aires. André Benoist, pilote talentueux de l'entre-deux-guerres, est mort à 49 ans dans le camp de Buchenwald après avoir été engagé comme agent des Services Secrets Britaniques.
Les fantômes de la compétition automobile semblent bien s'être invités à Reims.

Les tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet

Au-dessous des premiers gradins, une immense salle pour 800 couverts était aménagée afin de permettre au public d'assister aux courses tout en se restaurant. En 1949 au menu, et pour 650 francs, Œufs en gelée, Pâté Champenois en croûte, Poularde rôtie, Macédoine de légumes, Jambon avec salade de saison, Glace pralinée et Biscuits de Reims. Et même si on s'adressait ici aux plus argentés des spectateurs, rien à voir bien sûr avec les menus gastronomiques des restaurants sur piste.
De toute façon, un peu partout, sur le vaste domaine qu'occupait le circuit, chacun pouvait se restaurer en fonction de son porte-monnaie. Seule constante, tous les champagnes des grandes marques sont en vente dans tous les buffets, au prix de 600 francs la bouteille2. Quand même !

Buffet-bar-buvette, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Après les tribunes couvertes, et même au-delà de la fameuse passerelle Dunlop, s'étendaient d'autres tribunes, découvertes celles-là. Puis de simples gradins, jusqu'au virage du Calvaire, juste avant l'entrée dans le village de Gueux. Des installations qui pouvaient accueillir encore des milliers de personnes, des familles joyeuses, excitées, parfois assoiffées ou affamées qu'il fallait bien satisfaire. Et si tout ce beau monde consommait plus que de raison, il fallait bien aussi qu'il se soulage. D'où de nombreux sanitaires disposés stratégiquement à divers endroits du site !

Latrines du garage des tribunes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Car derrière les tribunes, ce sont bien des champs qui s'étendent à perte de vue. Des champs de milliers de voitures, donnant accès directement aux installations toutes proches. Des parkings improvisés qui vus du ciel, pouvaient faire penser aux drive-in américains. Ces cinémas en plein air si prisés dans les années 50 et 60, où l'on venait en famille dépenser l'argent de la semaine. Spectacle, nourriture et frisson, la Sainte Trinité des belles années de la société de consommation. Sauf qu'ici, à Reims, le spectacle était bien réel, palpable même. Les enjeux étaient ceux de la vraie vie. Et parfois de la mort. Et les héros n'étaient pas fabriqués par Hollywood. Quoique … En 1955, sort sur les écrans THE RACERS - en français LE CERCLE INFERNAL3. - un film de Henry Hathaway avec Kirk Douglas et dont les dernières séquences ont été tournées ici même. Sauf qu'aucune des stars américaines n'a jamais mis les pieds sur le circuit de Reims, ni même en Europe4. Tous les plans serrés sur les personnages conduisant leurs bolides ont en effet été tournés en studio, devant un écran de transparence. Pour des raisons d'organisation et de coût, les acteurs n'ont donc jamais quitté la Californie !

Tribune de presse côté parking, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

J'en suis là de mes souvenirs de cinéphile, à contempler cette longue barre de béton, perdue au milieu des champs d'orge et de betterave, quand mon ventre se met à gargouiller. Je reprends donc le volant direction Gueux et l'ancien tracé du circuit qui, jusqu'en 1952, passait carrément au milieu des habitations. En 1953, on modifia le parcours afin de contourner le village. En l'espace de trois petits mois, non seulement près de 4 kilomètres de piste seront créés, mais surtout, on donnera au circuit le visage qu'il a encore aujourd'hui.
Une nouvelle tribune et de nouveaux gradins sont construits. L'ancien poste de chronométrage devient le restaurant de piste. Le pavillon André Lambert est lui aussi construit, ainsi que le fameux Pavillon de presse comprenant un bar et un restaurant réservés aux journalistes, 12 cabines téléphoniques, le service télégraphique. On creuse un tunnel qui permettra aux voitures particulières de passer sous la route du circuit5. Tout ça pour un coup total de 200 millions de francs.
Impensables aujourd'hui, ces travaux gigantesques menés de main de maître par Raymond Roche, le créateur du circuit, et la SACR, la Société Anonyme des Circuits de Reims, vont permettre au lieu de devenir une référence européenne pour les quinze années à venir.
Seule ombre au tableau, lors de l'inauguration du nouveau circuit par la toute première édition des 12 Heures Internationales de Reims, une première victime est à déplorer. Francis Durand, qui faisait équipe avec René Cotton sur sa Panhard D.B. N° 37, ne prendra pas le départ. Son accident l'avant veille, lors des essais, devait inaugurer une longue série…
Étonnement, il est très difficile aujourd'hui de trouver des informations sur cet événement malheureux. Certes, Durand ne décèdera que quelques jours plus tard dans un hôpital parisien. Mais de l'accident il n'est rien dit, dans presqu'aucun des papiers de l'époque. Seul L'Auto-Journal semble en avoir parlé. Est-ce parce que les journalistes avaient bien d'autres sujets plus festifs à traiter ? Probable. Est-ce parce que cet accident faisait un peu désordre dans le beau tableau de l'époque6, qu'il fut plus ou moins passé sous silence ? À vérifier. Les nouvelles infrastructures, le circuit flambant neuf, la première édition des 12 Heures de Reims, la venue une nouvelle fois du grand Fangio, tout concourait pour faire de ce premier week-end de juillet, le plus beau de l'année …

Traces de l'ancien chronométrage, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Demain, à suivre : des courbes, des virages et une femme …


BP, Circuit Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet



2 Extrait du programme officiel de 1949
3 Le livre dont est tiré le film est un roman de Hans Ruesch édité en France chez Robert Laffont l'année de sortie du film. Ecrivain suisse, ancien pilote de course des années 30, Ruesch a gagné plusieurs Grands Prix. Romancier à succès, il a été de nombreuses fois adapté au cinéma. Il est mort en 2007.
4 La lutte que se livrent les deux pilotes du film se passe durant les Grands Prix Européens.
5 Article de R. Dhennin dans L'Action Automobile et Touristique de Mai 1953
6 Les secours ont eu "un peu de mal" à arriver : les ambulanciers n'arrivaient pas à faire démarrer leur ambulance et les pompiers avaient perdu leurs casques. Arrivés sur les lieux de l'accident une demie heure plus tard, les pompiers se rendirent compte que leurs extincteurs ne fonctionnaient pas.