Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


24 novembre 2011

Circuit de Reims-Gueux #4

Ou comment je vois les fantômes de Gueux venir à ma rencontre.

Après ma pause déjeuner, près d'un lac à canards posé au milieu d'un charmant village endormi, je reprends l'ancien tracé du circuit en remontant la rue de la gare, et rejoins la D26. Puis je vais voir d'un peu plus prés à quoi ressemble ce fameux virage du Calvaire, autrement appelé "virage d'évitemment de Gueux". Mais arrivé au rond-point, point de Calvaire. Je retourne donc sur mes pas, et attaque le virage dans le sens de la course, sereinement. Quand là, sur ma gauche (je ne l'avais pas vu en passant dans l'autre sens) j'aperçois un bouquet, planté sur une petite pancarte. Je pile brutalement, recule et vais me garer à l'entrée du chemin que je viens de dépasser. En m'approchant, je me rends compte que la pancarte est aux couleurs de l'Italie et que le bouquet est fait de fleurs artificielles. Les inscriptions ne laissent plus de place à mes doutes, je suis sur le lieu même de l'accident de Luigi Musso qui en 1958 rata ici le virage au volant de sa Ferrari. Cette année-là, alors qu'il a joué et perdu au jeu de grosses sommes d'argent, et qu'il a des dettes auprès de la mafia, le pilote italien ne se donne pas le choix. Il doit gagner, coûte que coûte, afin d'empocher le gain substantiel de la course. Malheureusement, le destin en a décidé autrement et après avoir à peine commencé son dixième tour, Luigi Musso, à près de 250 km/h, quitte la route en tonneaux et va s'écraser cent mètres plus loin dans un champ de blé. Il décèdera peu de temps après à l'hôpital de Reims.

Luigi Musso, 6 juillet 1958, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

L'italien n'est pas le seul à s'être fait prendre par cette courbe mortelle. Et d'autres fantômes errent encore aujourd'hui le long de cette portion du circuit. L'américain Herbert McKay-Fraser en a fait les frais l'année précédente à bord de sa Lotus. Il venait tout juste de fêter ses trente ans.
En 1962, c'est le plus jeune de tous, le canadien Peter Ryan, 22 ans, qui au volant de sa Lotus jaune et verte va s'écraser non loin de là, suite à un accrochage avec l'anglais Bill Moss.
Les voilà donc mes fantômes. Que dire ? Que faire ? Prendre une photo de cet instant, pardon, de cet endroit tragique, me semble le minimum. Et pourquoi l'italien a droit à sa "plaque" et pas les deux autres ? Parce qu'il était plus connu ? Parce qu'il a couru avec Fangio ? Parce que lui, au contraire des deux autres, courait dans un Grand Prix ?

Au milieu des pistes, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Je reprends ma voiture et, un peu triste, m'approche de la deuxième courbe mortelle. Celle qui est pour beaucoup dans la réputation du circuit. Presqu'un film à elle toute seule. Une histoire entrée dans la légende et construite comme un mélodrame ! Au lieu de remonter la D26 vers la Nationale 31 je fonce tout droit, empruntant le sens interdit - à 500 m ! - pour cause de cul-de-sac. Je me retrouve seul sur cette portion de route déserte, au beau milieu des champs, comme si j'avais voyagé dans le temps. Soudain, je sens un souffle violent, rapide. La Porsche Spyder d'Annie Bousquet vient de me frôler à plus de 170 km/h. Subitement, ses roues gauches sortent de la piste et la voiture, violemment déséquilibrée, part en vrille pour aller s'écraser quelques mètres plus loin, dans un champ de blé. Éjectant sa pilote hors de l'habitacle. Fin du rêve et fin de la course pour cette toute jeune femme qui décèdera finalement au CHU de Reims des suites de ses blessures. Annie Bousquet avait déjà eu, trois ans auparavant, un grave accident qui l'avait cloué un mois sur un lit d'hôpital. Mais ça n'avait pas suffi pour la faire renoncer. Ce matin de juin 1956, alors qu'elle était veuve depuis peu de temps, elle n'avait semble-t-il pas dormi les nuits précédentes et paraissait épuisée. Le circuit ne lui a laissé aucune chance. Elle est la seule femme pilote de toute l'histoire de la compétition automobile à avoir péri en course.
Désormais son fantôme a un lieu pour se recueillir, le virage a pris son nom.
Drôle de décision dans le monde des courses. À la suite de cet accident, les organisateurs du Mans décidèrent d'interdire les compétitions aux femmes. Curieux ...
Ici, en juillet 1964, Jean-Pierre Beltoise aura, lui, beaucoup plus de chance. En pleine nuit, son bolide glisse sur une tache d'essence qu'il ne peut éviter. Il perd le contrôle de sa voiture. Celle-ci quitte la route et prend feu. Finalement, il ne doit la vie sauve qu'au faisceau de la lampe d'un commissaire de course qui le découvrit par hasard à plusieurs mètres de là, alors qu'il avait été éjecté de son véhicule. Très salement amoché, il s'en sortira.
Deux ans plus tard, le pilote Daniel Belot eut, au même endroit, beaucoup moins de chance …

Courbe Annie Bousquet, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Deux virages. Cinq victimes. Le bilan s'alourdit et l'ambiance devient pesante. Je pars explorer la suite de cette portion de circuit, mais j'arrive bien vite au bout du bout. La chaussée a été ici amputée d'une grosse partie de sa longueur et devant moi, le bitume s'arrête net au milieu des labours. Il prend fin au niveau de ce troisième virage qui, lui, n'a tué aucun pilote. Le seul virage innocent de tout le circuit a été puni pour le mal que tous les autres ont fait. Il ne pourra plus désormais rejoindre le virage de Muizon, à quelques centaines de mètres plus loin…

Le virage sans nom, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet

Demain : un virage fantôme, une chapelle en plein air et toujours du champagne …


FORT, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet