Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


12 décembre 2012

Du Côté du Bois #3

De la charité. 

Alors que j'aborde la montée vers les hauts du bois, je laisse sur ma droite une parcelle grillagée, gardée par un panneau de l'Office National des Forêts : ICI UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D'ARBRE - Pour une gestion durable de la forêt. Curieux comme l'ONF, alors même qu'il exploite aujourd'hui la forêt française de façon plutôt raisonnable, doit-il pour chaque arbre abattu, et pour chaque parcelle replantée, expliquer, communiquer et faire preuve d'une pédagogie sans faille à destination des citadins (citadins qui d'ailleurs s'imaginent encore que les forêts françaises sont totalement sauvages et qu'il ne faut surtout pas toucher aux arbres qui y poussent !) … alors qu'à l'autre bout de la planète, on continue tranquillement de raser des milliers de mètres carrés de forêts primaires et tropicales5, dans la plus grande indifférence. Déconcertante contradiction de l'être humain ! Bref.
Retour à ma grimpette, à travers chênes et châtaigniers.

De dos, Réservoir de Felury, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet 

Après quelques minutes de marche, j'arrive sur le plateau, en lisière du bois. À droite, un haut mur de pierre, celui de l'Orphelinat Saint-Philippe (aujourd'hui propriété de la Fondation d'Auteuil). Et un peu plus loin, sur la gauche, cachée au milieu des arbres, la haute silhouette imposante d'un château d'eau. Je connais bien ce monument pour l'avoir croisé de nombreuses fois lors de mes ballades dans le bois de Clamart, et l'avoir photographié il y a quelques années déjà6. Il est pour moi comme une sorte de symbole. Symbole du temps qui passe (il est plus que centenaire). Symbole d'une architecture un tantinet désuète. Et enfin, symbole d'une charité d'un autre siècle.

Grafs, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Son histoire commence à la fin du XIXe, lorsque la duchesse de Gallierarachète à la marquise de Plessis-Bellière sa propriété située sur les communes de Clamart (anciennement village de Fleury) et Meudon. Nous sommes en 1877, la France est sous la présidence du maréchal Mac Mahon et le général Séré de Rivières tout à sa "passion", bâtit sans relâche depuis 4 ans des dizaines de forts défensifs, tout autour de Paris, et le long des frontières françaises8.

Un balcon et deux ouvertures, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

Détentrice d'une immense fortune, Marie Brignole-Sale de Ferrari, duchesse de Galliera, décide donc de faire construire sur sa propriété nouvellement acquise un orphelinat et une maison de retraite. Confié à l'architecte E. Conchon, le chantier pharaonique s'étalera sur plus de dix années. Extrêmement exigeante, celle-ci veut le meilleur pour ces enfants nécessiteux, qui seront éduqués ici, et apprendront l'horticulture: « Depuis que je suis au monde, j'ai vécu dans des palais, je trouve bon que les pauvres en aient un, j'ai plaisir à le leur offrir ».

La cuve, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Alors que la plupart des français n'ont à cette époque que peu de commodités dans leur habitation, ici les jeunes auront des salles de bains, des douches, des lavabos et même le chauffage central. Et à l'extérieur, outre l'aménagement des terrains destinés à l'apprentissage de l'horticulture, on fera construire une piscine découverte (non chauffée !) afin que tous puissent apprendre à nager. Mais tout ce confort, ajouté à la gestion quotidienne des habitants du lieu (trois cents enfants, une centaine de retraités, plus le personnel encadrant et les enseignants) demande un volume d'eau considérable. Il est donc décidé, dès le début du chantier, de construire un réservoir. Cette immense cuve, alimentée depuis l'étang de Chalais en contrebas par d'énormes machines, pourra ainsi fournir en permanence l'eau nécessaire au bon fonctionnement du village de Fleury.

Un arbre, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

Aujourd'hui, il ne reste plus de cette citerne qu'une carcasse rouillée et un cylindre de pierre. Et à l'intérieur, là où se croisaient les canalisations, il n'y a plus grand chose. Il y fait noir. Ça sent le plastique brûlé et le charbon de bois. L'humidité et la pourriture. Car ce lieu, désormais ouvert à tous, s'est arrêté de vivre, il y a bien longtemps. Modernisation des réseaux d'adduction d'eau oblige.
Le Réservoir de Fleury est devenu obsolète mais étonnamment, la nature a bien du mal à reprendre ses droits sur le monument. À part un arbre chétif qui tente, tant bien que mal, de grandir au pied du mur, enraciné dans les pavés de grès, rien ne semble vouloir s'accrocher au vieillard. Comme ci celui-ci voulait nous signifier qu'il était encore vaillant. Prêt pour une deuxième vie …

Blockhaus, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

Laissant derrière moi les vestiges de cet ouvrage solitaire, je m'engage sur le sentier qui longe le mur d'enceinte de Saint-Philippe, pour la dernière étape de mon enquête. Le blockhaus graffité, témoin proéminent de la dernière guerre mondiale, semble me fixer de son regard cyclopéen.
Soixante mètres plus bas, au pied de cette colline qui domine tout Paris, j'ai désormais rendez-vous avec la Fontaine Sainte-Marie, sa guinguette et ses fantômes d'un autre temps …

Le mur de Saint-Philippe, Réservoir de Fleury, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet



Demain, à suivre : des canotiers, des sculpteurs et une guinguette … 


5. En dix petites années, la surface de la forêt amazonienne rasée au profit de l'agriculture (essentiellement du soja) a été de 550.000 km2. Ce qui correspond à une superficie équivalente à celle de la France, au rythme de 10 départements français par an …
6. Pour un polyptique polaroid inspiré de "Alice au Pays des merveilles" et intitulé "I've had such a curious dream" (2008)
7. La duchesse de Galliera, à la tête d'une fortune considérable suite au décès de son mari en 1876 - le marquis Raffaele de Ferrari - fera construire dès 1878, l'actuel Musée de la mode de Paris, le Musée Galliera, pour abriter ses œuvres d'Art. Elle possédait également l'actuel Hôtel de Matignon (où elle vivait), le Palazzo Rosso et le Palazzo Bianco à Gênes. Et fit construire à Clamart, en même temps que l'Orphelinat Saint-Philippe, l'Hospice Ferrari, maison de retraite pour gens de maison.
8. Voir ma chronique photographique "Les Oubliés (ou la position du Bois de Verrières)", mise en ligne en juin 2012