Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


11 décembre 2012

Du Côté du Bois #2

Entrée des artistes.

Lorsqu'on aborde le bois de Clamart par la Place du Garde, il n'existe que deux manières d'y pénétrer. Soit par la route de la Mare, montée goudronnée qui vous amène sur une sorte de plateau au Carrefour de l'Anémomètre. Soit par un simple sentier qui vous oblige à passer au beau milieu du Théâtre de Verdure. C'est par là que débutera mon exploration …

Entrée, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet 

De l'extérieur, le Théâtre forme un large cercle incluant de nombreux arbres. Protégé par un véritable fatras de buis devenu sauvage, l'ensemble, fortement arboré, me fait penser à une sorte de bulle écologique à la Silent Running3. Juste derrière, se trouve le mur de clôture. Et face à moi, la première entrée.

Mur d'entrée, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

Une serrure, ainsi que des gonds rouillés encore scellés aux pierres, m'attestent que les accès n'étaient à priori pas libres et que des portes devaient vraisemblablement clore l'enceinte. Au moins lors des représentations, lorsque le théâtre était complet. M'avançant au centre de cet immense cercle aux allures d'agora, j'ai l'impression d'être projeté des décennies en arrière, du temps où se déroulaient ici les premiers spectacles. Les gradins, auxquels on accédait par trois petites marches, devaient certainement être faits d'alignements de bancs en bois, disposés en arc de cercle. Aujourd'hui, plus trace de ces bancs. Seulement de l'herbe, des arbres et des ronces. Face à eux, dans l'autre moitié : la scène. Ou plutôt ce qu'il en reste. À droite et à gauche, pardon! À cour et à jardin : deux volées de marche en béton, permettant aux artistes de monter sur le plateau. Mangés eux aussi par la mousse et le lierre, ces escaliers semblent bien incongrus à cet endroit-là !

Gradins, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Penché en avant à la recherche du moindre indice caché, j'arpente la scène de terre battue, mais sans grand succès. Je m'apprête à rejoindre les coulisses quand, soudain, mon regard est attiré par une pièce métallique : un cylindre fortement scellé dans le sol et affleurant à peine. Vu sa position, légèrement en avant de l'escalier, il se pourrait bien que ce soit le reste d'un poteau servant à tenir le rideau de fond de scène. Mais impossible à vérifier. Je reste donc là quelques instants à profiter des derniers rayons de soleil de cette fin d'été, m'imaginant quelque comédien amateur grimpant les marches, le trac au ventre, mais terriblement excité à l'idée de passer de l'autre côté du rideau. Puis je me décide à rejoindre les coulisses.

Côté cour - Côté jardin, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Murs graffités, papiers gras, bouteilles vides, kleenex usagés. L'arrière-scène n'est guère ragoûtante. Je tente une sortie par la porte du fond (à ce stade de mes recherches "in situ", je ne sais pas encore qu'il s'agit de l'Entrée des Artistes, pourtant un document me l'apprendra plus tard…) puis me glisse entre le buis et le mur. Histoire de voir. Malheureusement il n'y a pas grand-chose à voir justement, si ce n'est des hordes de moustiques que je semble avoir dérangées. Las de me faire bouffer par ces diptères agressifs, je m'extrais de la haie et contourne le théâtre jusqu'à l'entrée principale.

Sous-bois de buis, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

De cette entrée, au centre des gradins et face à la scène, la vue sur l'ensemble est assez belle, presque majestueuse. Les architectes du projet ne s'y sont pas trompés. En intégrant quelques arbres au plan d'ensemble (les plus grands d'entre eux sont, de toute évidence, là depuis très longtemps, et sont forcément le fruit d'une réflexion quant à leur emplacement), on a créé "artificiellement" une verticalité, pourtant naturellement absente. Et même si le plafond manque, le lieu semble posséder un réel volume, digne des théâtres "fermés". Sans compter que la voûte végétale, ainsi constituée, doit certainement permettre d'éviter que le son ne se dilue dans l'air. Ok, je ne suis peut-être pas acousticien, mais j'aime à penser que tout cela n'a pas été vain …

Au fond, la scène, Théâtre de verdure, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

S'il y a 60 ans, les chênes et les marronniers du théâtre étaient forcément plus petits, ce sont malgré tout des dizaines de chanteurs qui ont été accueillis ici en juin 1956 pour UN UNIQUE GALA donné par des chorales venues d'Allemagne, Espagne, France, Mongolie, Tchécoslovaquie. Un programme (précise-t-on sur l'affiche aux lettres d'un bleu pétant) organisé par la Fédération Musicale Amateur et intitulé 1res OLYMPIADES INTERNATIONALES de CHANT CHORAL AMATEUR. Un spectacle soutenu activement par Louis Durey compositeur du XXe siècle qui travailla avec Paul Eluard, Guillaume Apollinaire ou Jean Cocteau. Le même Jean Cocteau qui prêtait d'ailleurs une oeil attentif à cette fédération musicale héritée du Front Populaire, en leur créant des visuels de son graphisme si particulier4.

Coulisses, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Mais au fait, ces architectes, qui sont-ils ? Et quand ont-ils œuvrés ? Un document important - le Plan d'ensemble original découvert aux archives municipales - m'a permis de remettre de l'ordre dans mes idées ! Au dos une date, 25 janvier 1947, accompagnée de la signature du maire de l'époque, Paul Padé. C'est donc juste après la deuxième guerre mondiale qu'a été créé le Théâtre de Verdure (et non pas à la fin du XIXe siècle comme j'ai pu le penser). Et si aucune mention n'est faite du nom des architectes, je découvre tout de même deux choses. Tout d'abord, qu'un plancher de bal avait été prévu à proximité, exactement dans l'axe de l'entrée latérale actuelle (qui est en fait une Sortie de dégagement). De taille imposante (près de 600 m2), il n'a en fait jamais été construit. Et d'autre part, que les principaux arbres (une dizaine) présents actuellement sur le site, étaient effectivement déjà intégrés au projet, en 1947. Matérialisés sur le plan par de petits ronds noirs.

Un arbre, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Assis sur les gradins, je regarde la scène. Derrière moi, de chaque côté de l'Entrée du Public, je viens de découvrir les traces en creux de ce qui devait être des plaques. L'une ronde, l'autre rectangulaire. Les restes fantômes d'une signalétique passée (Sortie Interdite ? Entrée ? La sortie s'effectue uniquement par les portes latérales ?) dont plus personne ne se souvient. D'après un clamartois, ce Théâtre de Verdure n'aurait d'ailleurs presque jamais servi. Une quinzaine d'années tout au plus. Et pour de très rares spectacles. Ceci expliquerait donc l'oubli dans lequel il est tombé. Et le peu de renseignements que j'ai découverts. Mais pourtant, ici, il me reste une chose à voir. Et de mon poste d'observation, cela me saute maintenant aux yeux.

Entrée du public, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet

En avant scène, il y a comme une sorte de petite marche unique. Comme un long et minuscule muret de béton. Etrange. Je m'approche. M'accroupis. Et découvre qu'il s'agit en fait d'une sorte de rigole dans laquelle ont pris racine quelques pieds de fraisiers des bois. Il s'agit certainement de la rampe. Ce goulet où l'on mettait les éclairages de bord de scène. Chose incroyable, mais qui me réjouit, je découvre que le béton est encore recouvert par endroits de sa peinture d'origine. Après tant d'années passée à l'extérieur ! Une peinture de couleur verte.

Du vert, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012 - Photo © Yannick Vallet


Étonnant ce vert … n'est-il pas censé porter malheur au théâtre ? …

Entrée des artistes, Théâtre de Verdure, Clamart, 2012
Photo © Yannick Vallet 

Plongé dans mes pensées, je quitte finalement les lieux, heureux d'avoir pu donner une âme à ce théâtre qui ne demande qu'à revivre. Direction, un des points le plus haut du bois. Direction, l'histoire incroyable d'une splendeur passée. Direction, le Réservoir de Fleury …


Demain, à suivre : une duchesse généreuse, un architecte très occupé et un drôle de vieillard …


3. Film américain à discours écologique avant l'heure, réalisé par Douglas Trumbull en 1971, avec Bruce Dern et Ron Rifkin. 
4. C'est d'ailleurs à cette même époque qu'il vient dessiner sur les murs de la Villa Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat : « Il ne fallait pas habiller les murs, il fallait dessiner sur leur peau, c'est pourquoi j'ai traité les fresques linéairement avec le peu de couleurs qui rehaussent les tatouages. Santo Sospir est une villa tatouée ».