Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


7 juin 2012

La position du Bois de Verrières #4

Les oubliés.

La route de Verrières est une des quatre anciennes voies militaires du bois qui permettent de relier facilement et rapidement les cinq batteries périphériques au réduit central. Dans sa dernière portion, face à la Batterie des Gâtines, elle est étonnement plantée d'une double rangée d'arbres, délimitant près d'une centaine de places de parking. Certainement les derniers vestiges de l'occupation encore récente des lieux, par l'Aérospatiale.

Bornes, Bois de Verrières, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Afin de contourner la Batterie, pour en commencer l'exploration par la route qui vient de Verrières-le-Buisson, je coupe à gauche par un chemin de terre. Je croise une ancienne borne puis un panneau : FORET DOMANIALE DE VERRIERES - PAR ARRÊTÉ PRÉFECTORAL - CIRCULATION INTERDITE LA NUIT (en rouge !). Avec des horaires différents en fonction des saisons. Dès la nuit tombée, ici on ne circule plus. Les militaires sont partis mais l'ordre est resté ! Et puis je m'avance encore.
Cette fois-ci, je découvre un très long bâtiment que je ne m'attendais vraiment pas à voir ici. Architecture moderne. Couleurs vives. Du rouge. Du orange. Et encore une pancarte : LES GÂTINES - Congrès et Séminaires - ACCUEIL à 100 m. Je n'y crois pas. Une fois de plus, j'arrive après la bataille. Tout ici a été rasé. Il ne reste plus rien de l'ancienne Batterie des Gâtines qui, au début de la première guerre mondiale, pouvait accueillir plus de 200 hommes. Mais en décembre 1914 (soit seulement 4 mois après le début de la guerre), il n'y en avait plus que 80 !

Graffée, Bois de Verrières, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Comme il ne se passait plus rien en dehors du front, la position du Bois de Verrières, puis la quasi-totalité des forts du Camp Retranché de Paris, se vidèrent des hommes valides. Tous ces casernements devinrent la base arrière où venaient se reposer par roulement de quinze jours, des centaines de soldats. Le problème, c'est qu'une bonne partie des effectifs était composée de malades et de convalescents. En janvier 1915, le Gouverneur signale même que le régiment qui a quitté les ouvrages de Verrières pour le front a été obligé de laisser sur place « une quarantaine d'hommes dont l'état de débilité physique les rendait inaptes à supporter les fatigues inhérentes au service qui allait leur incomber. » La Batterie des Gâtines, comme les autres à Verrières, s'était en quelques mois dégarnie de tous ses hommes en état de combattre, pour les remplacer par des malades en piteux état, épuisés et déprimés.

La clôture des Gâtines, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Alors que je me décide finalement à faire le tour complet du site (on ne sait jamais), je passe sur l'ancien parking latéral qui après la deuxième guerre mondiale, fût celui de l'Arsenal d'Etat, puis de Nord-Aviation et de la SNIAS, devenus en 1978 l'Aérospatiale. Sur d'énormes bancs d'essais, on a testé ainsi pendant soixante ans, des moteurs et des engins tactiques (comprenez "missiles") destinés non seulement aux militaires français mais aussi à n'importe quelle armée dans le monde.
Puis je longe, sur des centaines de mètres, de grandes plaques de béton graffées. Dans les angles, à dix mètres de haut, les restes de hauts parleurs, de caméras et de projecteurs, signes passés d'un site sensible, classé Secret Défense. Puis retour au point de départ, après avoir entr'aperçu, de l'autre côté de la clôture, ce qui ressemblait aux restes d'un pan de mur fortifié.

Des pins, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Je me demande vraiment ce que je suis venu faire ici. Depuis le début de mon périple, je n'ai vu aucun bâtiment complet. Seulement des morceaux, des silhouettes de casemates, enfouies sous la terre. Des bribes d'histoire. Et puis il y a tous ces hommes aussi, en piteux état, exténués de s'être trop battus. Ceux que je me surprends à baptiser les oubliés de la guerre.
Tout ça parce qu'un jour je suis tombé sur une simple phrase dans un livre qui me fascine : « Par sa fenêtre, une nuit, il avait contemplé le silencieux paysage qui se développe, en descendant, jusqu’au pied d’un coteau, sur le sommet duquel se dressent les batteries du bois de Verrières. »
Mais bon, il ne m'en reste plus que deux à voir, de ces fameuses Batteries. La prochaine, celle d'Igny, n'est pas très loin. Elle était la plus petite de toutes, peut-être n'est-elle pas passée à la trappe... C'est donc sans entrain que je me traîne jusqu'à elle par une route forestière qui, chose étonnante dans ce bois, longe une parcelle plantée de pins. C'est d'ailleurs tout près d'ici qu'en août 1944, à la libération de Paris, des soldats américains bivouaquèrent, préférant la belle étoile aux casernements des Gâtines, fraîchement désertés par l'armée allemande.

Un arbre, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

J'ai l'impression que l'histoire se répète. À ma gauche, ce sont à nouveau de petites buttes de terre comme au Terrier. Mais moins nombreuses. Puis un grand espace, inhabituel ici, comme une large avenue aménagée entre les arbres. Et au bout, je les aperçois. Elles sont deux. Presque côte à côte. Les traverses-abris de la Batterie d'Igny. Bien visibles, même si elles aussi sont en partie recouvertes de terre. Deux collines comme deux cénotaphes.

Les traverses-abris d'Igny, Bois de Verrières, 2012
Photos © Yannick Vallet

Ici, pendant la guerre de 14 il n'y avait qu'une vingtaine d'hommes pour s'occuper de l'armement. Quatre canons qu'il fallait entretenir et bichonner. Et à part ça, pas grand-chose à faire. Une certaine oisiveté qui inquiète le Général commandant la zone sud du Camp Retranché de Paris : « Le Gouverneur a constaté que l'activité de certains corps du Camp retranché était insuffisante. Ces corps mènent beaucoup plus la vie de cantonnement de manœuvres que celle de troupes en campagne. Il y a lieu de stimuler leur activité et de pousser très énergiquement leur instruction en vue du combat. […] on ne doit trouver personne, à l'exception des malades et des hommes de service, dans les cantonnements entre 6h et 17 heures. Toute la journée doit être utilisée pour le développement de l'instruction […] Il faut que tous se pénètrent de cette idée que nous sommes en guerre et non en période d'exercices. »

La batterie d'Igny, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Me voilà presque arrivé à la fin de mon voyage. Encore un petit kilomètre à parcourir en empruntant la route de la Grande Ceinture et je vais tomber sur la Batterie de Bièvres. La der des ders ! Et je ne le sais pas encore, mais je ne suis pas au bout de mes surprises …


Demain : un poste de garde, des lits à quatre places et des croix de bois.