Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


6 juin 2012

La position du Bois de Verrières #3

Une putain de guerre.

Pourquoi avoir voulu à ce point dissimuler les témoins du passé ? Parce que ce passé, justement, s'était avéré peu glorieux ? Peut-être. Peu glorieux et même, pour certains, accessoire …
Lors de la première guerre mondiale, le front était si loin de Paris que l'ouvrage de Verrières ne fut d'aucune utilité. Et même lorsqu'en 1918 les Pariser Kanonen (que l'on a souvent confondu avec la Grosse Bertha) se mirent à pilonner Paris, jamais les tirs (heureusement) n'allèrent plus loin que le centre de la capitale5.
Quant à l'usage de Verrières pendant la deuxième guerre mondiale, n'en parlons même pas ! En juin 1940, l'avancée allemande fût si rapide qu'aucun des forts qui entouraient Paris ne furent en mesure de jouer leur rôle défensif.
J'en étais là à me remémorer mes cours d'histoire, lorsque je décidais finalement de rejoindre le bâtiment central de tout le système : le Réduit de Verrières.

Bois de Verrières, 2012 - Photo © Yannick Vallet

Le moins que l'on puisse dire c'est que dès 1879 et durant les premières années d'occupation du fort, les militaires n'étaient pas vraiment les bienvenus dans le Bois. Et les verriérois, quelque peu belliqueux, le faisaient bien sentir ! En août 1880, le Capitaine commandant la position fait part au Maire de Verrières d'un drôle d'incident : « A deux reprises différentes, la sentinelle placée devant le Réduit a été assaillie la nuit à coups de pierres par des individus demeurés inconnus. J'ai l'honneur de vous informer qu'à dater de ce jour, cette sentinelle a la consigne de faire feu à la première agression. Je porte ce fait à votre connaissance afin d'éviter toute méprise. » Eh oui, on ne rigole pas avec les militaires !

Face au grillage, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Me voilà arrivé face à un frêle grillage. De l'autre côté, le fort. Que je n'aperçois même pas, tellement il est perdu au milieu des arbres. Ce bâtiment, déclassé au début des années 50, après avoir été occupé quelque temps par l'Armée de l'Air, était jusqu'à très récemment une annexe du CNRS, le Service d'Aéronomie6. Après restructuration et regroupement du Centre, le département a déménagé en 2010. Direction Guyancourt, à une vingtaine de kilomètres plus à l'ouest, où il est devenu le Latmos (Laboratoires atmosphères, milieux, observations spatiales). Je longe le grillage. Des bruits sourds mêlés au chant des oiseaux résonnent entre les arbres. Je fais le tour de la "propriété" et finis par me retrouver face à une imposante pancarte : Travaux de réhabilitation du site de Verrières. Et encore : CHANTIER INTERDIT AU PUBLIC - DANGER - PRODUITS DANGEREUX. L'entrée du territoire est là mais je ne vois rien, excepté des ouvriers au travail, charriant des gravats et conduisant des engins de chantier. Visiblement, des bâtiments ont été détruits récemment. Et au loin toujours ces bruits sourds, ceux des pelleteuses et autres machines de démolition. Décidément, je vais de déception en déception. C'est le troisième bâtiment et rien, ou si peu, m'est donné à voir. Tout est caché sous des remblais, de la terre, des feuilles ou au milieu des arbres. Caché. Enfoui. Disparu. Effacé des mémoires. Il faut dire que ce qu'il s'est passé ici entre 1914 et 1918 n'est franchement pas reluisant. Tardi a beaucoup travaillé sur celle qu'on a appelé une Putain de guerre ! 7 A cause des tranchées, et de l'inhumanité particulière de ce conflit. Mais à bien y regarder, à l'arrière (et toutes proportions gardées bien sûr) ce n'était guère mieux.

Le milieu du réduit, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Très vite, dès les premiers mois du conflit, la zone sud-ouest du Camp Retranché de Paris, et dont fait partie Verrières, est comme "oubliée" par l'autorité militaire. Alors que le front se déploie au nord et à l'est, ici, il ne se passe plus rien. Pire, les batteries du Bois de Verrières ne sont plus, ou peu, approvisionnées et les conditions de vie des soldats sont déplorables : « ... le couchage est constitué de lits en fer doubles et à deux étages, constitués d'une paillasse, d'un traversin et d'une demie couverture par personne, le tout très sale. » Le commandant qui a inspecté le Réduit conseille même d'avoir du rechange afin de pouvoir laver le couchage ! En ce qui concerne l'éclairage, il n'y a qu'une ou deux bougies par chambrée. Encore plus incroyable : dès le mois de septembre 1914, c'est-à-dire tout juste un mois après le début de la guerre, il n'y a plus aucune munition pour les soldats. Elles leur ont été enlevées pour approvisionner le front ! Et quelques mois plus tard, en mai 1915 les choses n'ont guère changé. Extrait d'une note du Général Commandant la Zone Sud, trouvée dans le Journal de siège : « Je crois devoir vous rendre compte qu'il n'existe aucun approvisionnement de mitrailleuses de campagne et que les troupes d'infanterie n'en sont dotées que tout à fait exceptionnellement. » Et pourtant nous sommes en pleine guerre ! Une guerre qui était une véritable boucherie mais également un conflit dans lequel la dignité de l'être humain n'avait aucune place. Il est intéressant de constater d'ailleurs que ce concept de dignité humaine n'apparaît véritablement pour la première fois qu'en 1948. Dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme : Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. (Article premier)
Alors en 1914 …

Briques, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Finalement, aux abords du Réduit je croiserai ce jour-là les restes de ce que je suppose être le mur de brique d'un ancien bâtiment. Et c'est tout.
Mais mon exploration n'est pas terminée. Et bien décidé à trouver du concret, je repars en direction de la batterie des Gâtines …

Bois de Verrières, 2012 - Photo © Yannick Vallet


Demain : des bancs d'essais, d'étranges cénotaphes et des malades qu'on a oubliés.



5. Les Pariser Kanonen, ou canons de Paris, qui avaient une très longue portée furent utilisés par les Allemands pour bombarder Paris de mars à août 1918. Installés à près de 140 Km de Paris, au nord-est, ils tirèrent près de 370 obus sur la capitale. Le 29 mars 1918, un obus tombé sur l'église Saint-Gervais, dans le quartier central du Marais, fit 91 morts.
6. Étude physique et chimique de l'atmosphère.
7. Putain de guerre ! est également le titre d'une bande dessinée de Tardi parue sous forme de journaux (entre août 2008 et octobre 2010) et qui retrace année par année, de 1914 à 1919, l'historique du conflit à travers divers personnages.