Petit retour en arrière sur l'enchaînement inéluctable des évènements.
Le 10 février, la mairie de Geux fait détruire les latrines que j'avais photographiées lors de mon voyage sur le circuit. Et moins d'une semaine plus tard, ce sont les poteaux des diverses entrées du site qui passent à la benne. Ainsi que, ici ou là, quelques panneaux en béton vieux d'un demi siècle !
Légende, Circuit de Reims-Gueux, 2011 - Photo © Yannick Vallet
15 février, deuxième phase. On s'attaque à un des emblèmes du circuit, à savoir la maison du gardien. Le symbole est fort, il va falloir avancer avec précaution. On commence donc par détruire, juste à côté, un ancien transformateur électrique et son poteau en béton ainsi que des toilettes. Puis, petit problème.
Alors que la municipalité souhaite raser la maison, le permis de démolir (demandé et établi par la mairie elle-même) n'indique qu'une démolition partielle et ne concerne que l'extension arrière d'époque un peu plus récente. On abat donc trois murs de brique et pour le reste, on verra plus tard.
À ce moment-là, la maison originelle semblait être, sinon sauvée, tout du moins épargnée. Mais pour combien de temps encore ?
Car cette bâtisse, a priori anodine, était déjà passée une première fois à côté de la disparition définitive. C'était en 1938 ...
Cette été-là, alors que Daladier vient de remplacer Léon Blum à la présidence du Conseil, le 32ème Grand Prix de l'Automobile Club de France voit, sur le Circuit de Reims-Gueux, la victoire écrasante de l'Allemagne (étrange signe de ce qui allait se dessiner quelques mois plus tard dans toute l'Europe …). Manfred von Brauchitsch raffle la première place sur Mercedes. Derrière lui, également sur Mercedes, Rudolf Carraciola (alors membre du groupe nazi NSKK) et Hermann Lang (lui, carrément membre du parti nazi).
Alors que les français insouciants profitent sans le savoir de leur dernier été en temps de paix, ici à Gueux, on décide d'aménager l'épingle de Thillois (voir ici le plan du circuit), devenue trop dangereuse au regard des vitesses atteintes par les bolides de plus en plus rapides. Mais il y a un problème, à la sortie du virage se trouve une petite maison occupée par la famille d'un ouvrier agricole d'origine polonaise, un certain Sochaki. Et cette maison, Raymond Roche, le grand organisateur du circuit, souhaite la garder. On décidera donc de la déplacer un peu plus loin, près des bâtiments du Circuit, pour y loger un gardien. Et tout doit être prêt pour l'année suivante … pour le 39ème Grand Prix de l'ACF.
La maison en 1926 dans l'épingle de Thillois
C'est donc pierre par pierre que la maison est déconstruite puis remontée, modifiée et agrandie afin d'accueillir la famille Lenel, nouvelle gardienne du temple.
Puis quelques années passent. La guerre, l'occupation, la résistance. Et le 28 décembre 1943, Pierre Bouchez, chef des FFI de la Marne, voit débarquer, au siège de son entreprise de Reims, la Gestapo venue l'arrêter. Dénoncé par des collabos, il aura juste le temps de sauter par la fenêtre de son bureau pour se cacher dans une cour toute proche. Il s'enfuira ensuite à la faveur de la nuit et restera planqué quelques temps dans le marais de Muizon, non loin de Gueux.
Or Bouchez connaît bien les gens du circuit pour y avoir couru dès la fin des années 1920. C'est donc avec confiance qu'il décide de rejoindre la fameuse maison afin d'y trouver refuge. Accueilli en ami, caché pendant quelques jours dans la cave des Lenel, il pourra finalement rallier la résistance sain et sauf. Quant à la maison, elle venait d'entrer dans l'Histoire.
Mais le lieu n'a pas fini d'alimenter les phantasmes car cette maison en a vu passé des célébrités. A commencer par le célèbre Fangio, qui dormit ici avant que ne soit construit le Bloc Habitat, juste de l'autre côté du paddock. Et tous les autres, qui venaient se reposer là quelques instants à l'écart du bruit, passer un coup de fil (ici était la première "cabine téléphonique" du circuit1) ou tout simplement pour papoter avec le gardien ou boire un coup.
Boire un coup ! N'oublions pas que nous sommes en Champagne et c'est ici, dans la cave même de la maison, que Raymond Roche cachait avec la complicité du gardien, des dizaines de caisses et de bouteilles destinées aux gagnants des courses ! Une véritable mine d'or !
Merci à Ogosc (Forum Autodiva) pour ses multiples documents sur cette maison,
Merci à G. pour ses photos et qui s'est révélé, une nouvelle fois, un correspondant hors pair.
1 le téléphone était en fait celui de la famille du gardien de l'époque, les Lemoine.
2 Ont été inscrits en 2009 : les tribunes couvertes avec leurs loges, les tribunes découvertes, le Pavillon Lambert, les stands avec les restaurants sur piste, le panneau d'affichage et la centrale des carburants.
N'ont pas été inscrits : les buvettes, le stand des marques, les toilettes, le transformateur, la rotisserie/chapelle, les piliers d'entrée, les panneaux, les bornes BP, le promenoir, la maison du gardien.
Le transformateur et le poteau, Circuit de Reims-Gueux, 2011
Photo © Yannick Vallet
Car cette bâtisse, a priori anodine, était déjà passée une première fois à côté de la disparition définitive. C'était en 1938 ...
Cette été-là, alors que Daladier vient de remplacer Léon Blum à la présidence du Conseil, le 32ème Grand Prix de l'Automobile Club de France voit, sur le Circuit de Reims-Gueux, la victoire écrasante de l'Allemagne (étrange signe de ce qui allait se dessiner quelques mois plus tard dans toute l'Europe …). Manfred von Brauchitsch raffle la première place sur Mercedes. Derrière lui, également sur Mercedes, Rudolf Carraciola (alors membre du groupe nazi NSKK) et Hermann Lang (lui, carrément membre du parti nazi).
Alors que les français insouciants profitent sans le savoir de leur dernier été en temps de paix, ici à Gueux, on décide d'aménager l'épingle de Thillois (voir ici le plan du circuit), devenue trop dangereuse au regard des vitesses atteintes par les bolides de plus en plus rapides. Mais il y a un problème, à la sortie du virage se trouve une petite maison occupée par la famille d'un ouvrier agricole d'origine polonaise, un certain Sochaki. Et cette maison, Raymond Roche, le grand organisateur du circuit, souhaite la garder. On décidera donc de la déplacer un peu plus loin, près des bâtiments du Circuit, pour y loger un gardien. Et tout doit être prêt pour l'année suivante … pour le 39ème Grand Prix de l'ACF.
La maison en 1926 dans l'épingle de Thillois
C'est donc pierre par pierre que la maison est déconstruite puis remontée, modifiée et agrandie afin d'accueillir la famille Lenel, nouvelle gardienne du temple.
Puis quelques années passent. La guerre, l'occupation, la résistance. Et le 28 décembre 1943, Pierre Bouchez, chef des FFI de la Marne, voit débarquer, au siège de son entreprise de Reims, la Gestapo venue l'arrêter. Dénoncé par des collabos, il aura juste le temps de sauter par la fenêtre de son bureau pour se cacher dans une cour toute proche. Il s'enfuira ensuite à la faveur de la nuit et restera planqué quelques temps dans le marais de Muizon, non loin de Gueux.
Or Bouchez connaît bien les gens du circuit pour y avoir couru dès la fin des années 1920. C'est donc avec confiance qu'il décide de rejoindre la fameuse maison afin d'y trouver refuge. Accueilli en ami, caché pendant quelques jours dans la cave des Lenel, il pourra finalement rallier la résistance sain et sauf. Quant à la maison, elle venait d'entrer dans l'Histoire.
Mais le lieu n'a pas fini d'alimenter les phantasmes car cette maison en a vu passé des célébrités. A commencer par le célèbre Fangio, qui dormit ici avant que ne soit construit le Bloc Habitat, juste de l'autre côté du paddock. Et tous les autres, qui venaient se reposer là quelques instants à l'écart du bruit, passer un coup de fil (ici était la première "cabine téléphonique" du circuit1) ou tout simplement pour papoter avec le gardien ou boire un coup.
Boire un coup ! N'oublions pas que nous sommes en Champagne et c'est ici, dans la cave même de la maison, que Raymond Roche cachait avec la complicité du gardien, des dizaines de caisses et de bouteilles destinées aux gagnants des courses ! Une véritable mine d'or !
Photo © Ogosc
Aujourd'hui, tout le monde ou presque, au village, semble avoir oublié ces histoires. Les vieux sont morts, les familles arrivées ici dans les années 70/80 n'ont pas connu les fastes du circuit et les nouvelles générations ne semblent voir dans ces bâtiments que la lubie de quelques collectionneurs un peu fantasques. Alors on détruit. On inscrit quelques bâtiments au titre des monuments historiques2, histoire de soigner son image. Et on détruit le reste.
Comme ce 20 mars 2012, premier jour du printemps, où la maison devait, en accord avec l'Architecte des Bâtiments de France (tout de même !), être démontée puis stockée en prévision d'une reconstruction future …
Shame, 2012 - Photo © G.
Sauf que la reconstruction n'aura jamais lieu, puisque les restes de la maison du gardien ont été emmenés discrètement dès le lendemain matin … à la décharge …
Photo © Ogosc
Fin de l'histoire … ou presque …
Aujourd'hui, tout le monde ou presque, au village, semble avoir oublié ces histoires. Les vieux sont morts, les familles arrivées ici dans les années 70/80 n'ont pas connu les fastes du circuit et les nouvelles générations ne semblent voir dans ces bâtiments que la lubie de quelques collectionneurs un peu fantasques. Alors on détruit. On inscrit quelques bâtiments au titre des monuments historiques2, histoire de soigner son image. Et on détruit le reste.
Comme ce 20 mars 2012, premier jour du printemps, où la maison devait, en accord avec l'Architecte des Bâtiments de France (tout de même !), être démontée puis stockée en prévision d'une reconstruction future …
Shame, 2012 - Photo © G.
Sauf que la reconstruction n'aura jamais lieu, puisque les restes de la maison du gardien ont été emmenés discrètement dès le lendemain matin … à la décharge …
Photo © Ogosc
Fin de l'histoire … ou presque …
Merci à Ogosc (Forum Autodiva) pour ses multiples documents sur cette maison,
Merci à G. pour ses photos et qui s'est révélé, une nouvelle fois, un correspondant hors pair.
1 le téléphone était en fait celui de la famille du gardien de l'époque, les Lemoine.
2 Ont été inscrits en 2009 : les tribunes couvertes avec leurs loges, les tribunes découvertes, le Pavillon Lambert, les stands avec les restaurants sur piste, le panneau d'affichage et la centrale des carburants.
N'ont pas été inscrits : les buvettes, le stand des marques, les toilettes, le transformateur, la rotisserie/chapelle, les piliers d'entrée, les panneaux, les bornes BP, le promenoir, la maison du gardien.