Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


3 février 2011

La rencontre, chap. 6

Entre deux mondes.

Nouvelle année, nouvelle rencontre et nouvelle formule.
La règle du jeu entre Olivier Hodasava et moi-même, entre "Dreamlands" et "Deux ou trois choses …", a légèrement changée. Petits aménagements donc, pour encore plus de plaisir !
C'est toujours chacun notre tour que nous présenterons à l'autre une photo, une image, d'un lieu ou d'un quartier à explorer. Sauf qu'à partir de maintenant ce n'est plus un point de vue, mais DEUX, que vous allez pouvoir découvrir.
Chacun sur notre blog, simultanément, nous posterons le même jour le résultat de nos explorations respectives … et c'est ainsi que vous pourrez comparer les deux facettes d'un même lieu, l'une virtuelle, l'autre réelle.

Photo © Olivier Hodasava

On commence donc par cette photographie qu'Olivier m'a envoyée il y a quelques semaines, accompagnée d'une adresse et du texte suivant : "Je me souviens les avoir plus d'une fois aperçues du périphérique. Je les vois régulièrement quand je prends le train vers le sud – gare de Lyon ou gare de Bercy – et c’est toujours un ravissement. […] Elles me fascinent – elles sont aussi déterminantes dans ma construction mentale du paysage parisien que la tour Eiffel ou le Sacré-Cœur. Ce sont les deux cheminées du centre de traitement des ordures ménagères d'Ivry – tout juste à la sortie de Paris. Jamais elles ne semblent s'arrêter de cracher... Et les panaches de vapeur d’eau qui s’en dégagent, fonction de la lumière, des courants de l’air, épousent mille formes, mille couleurs."

15 avril 2010, 10H41, Périphérique Est, Paris, France1
Photo © Yannick Vallet

Olivier a raison, ces deux cheminées sont aussi connues des parisiens que les plus emblématiques monuments de la capitale, surtout pour ceux qui empruntent régulièrement la portion Est du périphérique. Mais une inconnue demeure, si nombreux sont ceux qui les connaissent de loin, peu ont eu la possibilité de les approcher, et leurs abords restent un mystère …
Plusieurs questions me taraudent donc : Où est posée cette usine ? Quel est son environnement exact ? Y-a-t-il quelqu'humain vivant ici, ou arpentant les abords de ce centre de traitement qui brûle plus de 1000 tonnes d'ordures par jour ?


D'après mon plan, l'entrée de l'usine est située en bordure du treizième arrondissement de Paris, mais l'implantation des bâtiments est bien à Ivry-sur-Seine. Je décide donc d'en faire le tour "au plus près", en commençant par l'entrée, rue Bruneseau. Puis les quais d'Ivry, pour ensuite tourner autour jusqu'à la Porte de Vitry et une partie des boulevards Maréchaux. En espérant qu'ainsi, je pourrai approcher de suffisamment près ce bâtiment afin de montrer ces deux cheminées comme on ne les a jamais vues.

Photo © Yannick Vallet

En arrivant, je croise plusieurs camions-poubelles, visiblement de retour de l'usine. Puis je passe sous le périph et là, devant moi, jouxtant un terrain vague, s'ouvre l'entrée de cette fameuse usine de traitement des ordures ménagères. Je me gare et soudain … l'horreur !
En ouvrant ma portière, une odeur nauséabonde envahit mes narines ...

Photo © Yannick Vallet

Aucun doute, je suis bien arrivé !
Alors que les locaux de la Propreté de Paris sont tout près - puisque adjacents à l'usine – force est de constater que cette propreté-là n'est pas le fort de ce quartier. Les trottoirs sont jonchés de déchets et détritus divers, et aux abords de l'usine, les rares "espaces verts" sont dans un état lamentable.

Photos © Yannick Vallet

Ici, peu d'humains à pied. Seulement le balai incessant des camions-bennes entrant et sortant du centre, et de nombreux véhicules cherchant à accéder au périphérique. Bref, un quartier peu ragoûtant où il semble difficile de vivre.
Et pourtant, juste en face de l'entrée, je découvre un pavillon en préfabriqué, tout droit sorti des années 80. Certes, les volets sont fermés mais en m'approchant j'aperçois dans le jardin un chat à l'affût et, posé sur les marches accédant à ce qui doit être le salon-salle-à-manger, un petit barbecue rouillé, comme la dernière trace d'un week end de fête !

Photos © Yannick Vallet

Finalement, après avoir fait quelques clichés, je me rends compte que l'entrée du centre de traitement ne m'inspire guère. Et puis cette puanteur, qui semble s'agripper à mes vêtements et devient difficilement supportable, m'oblige à bouger d'ici.

Photo © Yannick Vallet

Avançant en direction de la Seine, je constate qu'un peu plus loin, une nouvelle artère a été créée : la rue François Mitterrand. Une bonne nouvelle pour moi, je vais pouvoir longer l'usine de beaucoup plus près, sans avoir à passer par les quais. Je m'engage donc dans cette voie, longeant les sorties de secours du Leroy-Merlin - jonchées du pop-corn du cinéma Pathé voisin - quand au bout de quelques mètres, je suis de nouveau assailli par une odeur pestilentielle. Une odeur immonde de poubelles qui me soulève le cœur. Je viens de passer sous le vent des fumées de l'usine, dans une rue sans vie, une sorte de passage artificiel entre deux mondes, dans un nouveau quartier sans passé.

Photos © Yannick Vallet

Étrangement, cet endroit m'inspire. Le contraste entre les bâtiments modernes, pleins de "rectilignité" et de froideur clinique, et ce monstre puant et crachant semble déclencher en moi un je-ne-sais-quoi de fascination ! De curieuses visions s'accrochent à mon cerveau, toutes dominées par le son incessant de dizaines de machines à vapeur …

Photos © Yannick Vallet

… froutch, fschhhhhhhh, froutch, fschuiiiiiiiii, clap, froutch, fschhhhhhhh, froutch, fschuiiiiiiiii, clap, froutch, fschhhhhhhh, froutch, fschuiiiiiiiii, clap, froutch …

Photos © Yannick Vallet

L'atmosphère étrange qui se dégage de cette rue, ma position un peu tordue - le cou cassé vers le ciel à photographier les volutes de fumée - me fait tourner la tête, sans parler de ces odeurs entêtantes de fond de poubelle qui me donnent la nausée.

Photos © Yannick Vallet

Heureusement, la fin semble proche …

Photos © Yannick Vallet

… et tout au bout, c'est le retour à la vie réelle. La rue Victor Hugo qui enjambe les voies SNCF de la gare d'Austerlitz m'emmène vers un Ivry plus humain, ancré dans un autre siècle.

Photos © Yannick Vallet

De loin, l'usine de traitement de la Syctom ressemble à un immense vaisseau spatial, entre Alien et Jules Vernes.

Photo © Yannick Vallet

Remontant l'avenue Pierre Sémard en direction du périphérique, je tente d'apercevoir les deux longues cheminées, mais sans grand succès. Seule une petite partie des panaches cotonneux, entre deux immeubles ou pardessus les toits, se laisse parfois deviner.

Photo © Yannick Vallet

Et puis ce sont les recoins du vieux Paris, les locaux vétustes de la SNCF et le retour des murs de brique rouge et de la pierre de taille.

Photos © Yannick Vallet

Le long des boulevards Maréchaux, l'ancienne gare Masséna me fout le blues, comme à chaque fois. Elle a été en 1967, un des lieux de tournage emblématique du chef d'oeuvre de Jean-Pierre Melville, Le Samouraï avec Alain Delon. Elle est maintenant dans un état lamentable, noyée au milieu des grues, du béton et de la poussière de l'incontournable chantier "Paris-Rive-Gauche".2

La gare Masséna - Photo © Yannick Vallet

Et de l'autre côté du périph, juste en face, se détache à nouveau l'imposante usine de traitement de la Syctom, rejetant inlassablement sa vapeur d'eau écoeurante dans le ciel parisien.

Photo © Yannick Vallet

Je me rends compte que depuis près d'une heure, j'avais finalement oublié son odeur. C'est en la voyant de nouveau ainsi, imposant sa silhouette à l'horizon, qu'une angoisse me reprend.
Dans quelques instants, je vais devoir une fois de plus affronter le monstre ronflant et son haleine de chacal !

Photo © Yannick Vallet

C'est donc presque à contrecœur que je me dirige vers l'antre du géant afin de boucler la boucle et d'en finir avec cette plongée méphitique au cœur des poubelles parisiennes.

Photos © Yannick Vallet

Après plus de deux heures de déambulation, mon estomac s'est quelque peu retourné. Et même si l'odeur m'a gâché le plaisir, je pense avoir en partie capté l'ambiance visuelle de cet environnement nauséeux. Mais ce qui se passe au-delà de l'enceinte de ce centre de traitement reste finalement un mystère et l'usine me fait immanquablement penser à celle de Soleil Vert3 derrière les murs de laquelle se cache une effroyable vérité …

Photo © Yannick Vallet

Mais maintenant, et si ce n'est déjà fait, il vous faut absolument aller voir sur Dreamlands ce qu'Olivier Hodasava a découvert lors de son voyage virtuel, sous les fumées des incinérateurs …

Et pour les cinq premières rencontres, c'est ici.

1. Ce jour-là, le volcan islandais Eyjafjöll répandait ses cendres sur le nord de l'Europe.
2. La gare Masséna, qui fait partie de la Petite Ceinture, devrait être bientôt réhabilitée pour devenir
un lieu dédié aux arts de la rue, du cirque et de la marionnette.
3. Soleil Vert un film de Richard Fleischer (1973) avec Charlton Heston.