Le projet Itinerarium prend ses origines en 2017, lors d'un séjour à Athènes. Touriste parmi les touristes, je ne voulais évidemment pas repartir de la capitale grecque sans avoir réalisé un vieux rêve d'enfance : visiter l'Acropole. Mais la confrontation immédiate et violente avec ce flot ininterrompu d'humains qui gravissait sagement les flancs de la colline, pour finalement se répandre sauvagement sur le plateau historique, me mit très vite mal à l'aise. Le fossé me semblait tellement monumental entre ce que j'avais espéré et ce spectacle à la fois navrant et fascinant, que je me demandais qu'elle était ma place parmi cette horde. Et surtout, comment l'humanité en était arrivée là ?
En un demi-siècle, le tourisme moderne a produit tout et son contraire. Dès lors, des voyages lointains, marketés comme des produits de grande consommation, aux séjours écoresponsables ou "humanitaires", les dérives, erreurs, aberrations ou simplement incompréhensions sont devenues coutumières. Et comme le souligne David Le Breton, aujourd'hui « l'industrie touristique restitue des lieux rares et précieux à la consommation mais ce faisant, elle détruit leur aura en les banalisant. »
La marchandisation est partout. Le moindre lieu ou événement estampillé tourisme se doit de raconter une histoire, nous présentant ainsi « un tableau touristique où le réel cède le pas à la fiction. »
Itinerarium se veut donc une observation des pratiques touristiques, qu'elles soient de masse ou à la marge, et de leurs acteurs principaux : les touristes. Au-delà de l'analyse critique, le projet se propose d'essayer de comprendre comment décor touristique et storytelling peuvent potentiellement construire l'identité de nos sociétés et par rebond, générer de possibles dérives.
Acropole d'Athènes, Grèce © Yannick Vallet
Chaque nouveau chapitre du projet Itinerarium est conçu comme un inventaire raisonné autour d'un "événement" touristique, sans préjugé de son importance historique, médiatique, locale, ou autre. Il est le résultat d'une observation de l'intérieur, comme n'importe quel touriste pourrait le faire, c'est-à-dire en ayant accès aux mêmes éléments sans aucune autorisation spéciale ou passe-droit particulier. Outre les photographies réalisées sur chacun des sites touristiques, une collecte d'objets issus du merchandising sera effectuée sur place, ainsi que des prises de sons et de courtes vidéos. La pièce finale, réunissant tout ou partie de la collection, prendra la forme d'une installation réalisée en fonction de la diversité des médiums utilisés (photographie, vidéo, son, dessin, sculpture, objets manufacturés, etc).
ITINERARIUM : au XVIe siècle, désigne un ouvrage relatant la découverte d'une région, à la manière d'un journal de voyage. Il est en quelque sorte l'ancètre du guide touristique moderne.
Dans la Rome antique, le terme désignait une carte avec villes, villages et arrêts divers ainsi que les distances les séparant.
Les premiers chapitres (d'autres viendront au fil de mes voyages) sont :
• Itinerarium #1 - From Ellis to Liberty : ce chapitre premier explore la question de la construction de l'identité américaine à travers la visite jumelée de la Statue de la Liberté et du Musée de l'Immigration d'Ellis Island et comment, en jouant sur les affects, les sujets de l'immigration et de la liberté sont devenus ici des concepts touristiques au puissant pouvoir émotionnel.
• Itinerarium #2 - La baie des phoques : le second chapitre d'Itinerarium, à travers la découverte d'une colonie de phoques en Baie de Somme, nous plonge dans les méandres contradictoires d'un écotourisme schyzophrénique.
• Itinerarium #3 - Projet menhirs : ce chapitre est tout entier tourné vers un symbole fondateur de l'identité bretonne, le menhir. Ou comment une certaine préhistoire de l'humanité n'intéresse plus grand monde.
• Itinerarium #4 - D-Day : Ou comment la deuxième guerre mondiale est devenue un simple souvenir ?
• Itinerarium #5 - …
Pour chaque chapitre, un texte reprenant le récit de mes découvertes sera imprimé sur papier journal, en suffisamment d'exemplaires pour que chaque visiteur puisse emporter avec lui un souvenir de la pièce présentée.
