Ce photoblog présente quotidiennement

un premier choix non définitif d'images pour les séries en cours.

Il vient en complément du site www.yannickvallet.com qui, lui,

présente un panorama complet de mon travail.


5 juin 2012

La position du Bois de Verrières #2

Une mémoire cachée.

Me voilà donc au cœur du décor. Ça sent l'humus, le bois en décomposition et la terre humide. Ça sent la nature et la vie sauvage. Après quelques minutes de marche, je longe ce que le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable nomme administrativement la réserve intégrale biologique. D'une surface de 42 hectares, ces parcelles doivent rester vierges de toute intervention humaine. Comme au premier jour ?
Selon l'arrêté du 10 novembre 2010, "la circulation dans la réserve et toutes activités humaines sont interdites en permanence". Inutile de vous dire que les propriétaires de chiens (pour ne citer qu'eux) s'en contrefoutent. J'y ai même vu un couple avec une poussette tenter d'avancer sur le minuscule et étroit chemin qui serpente entre les troncs pourrissants. Ubuesque !

Réserve Intégrale Biologique, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Bref. Continuant mon chemin, je tombe sur la Mare Chalot, dont Emile Zola (décidément, en cette fin de XIXème siècle, le Bois de Verrières inspire les écrivains) la cite dans un de ses romans. Le peu connu "Capitaine Burle" :
« C’était une mare pleine de joncs, aux eaux moussues, que nous avions appelée la « mare verte », ignorant son vrai nom ; on m’a dit depuis qu’on la nomme « la mare à Chalot ». Rarement, j’ai vu un coin plus retiré. Au-dessus de la mare, des arbres épanouissaient des jets, des bouquets, des nappes de verdure ; il y avait des verts tendres d’une légèreté de dentelle, des verts presque noirs, massés puissamment ; un saule laissait tomber ses branches, un tremble semblait mettre au fond une pluie de cendre grise. » Un lieu idyllique semble-t-il ! Sauf qu'aujourd'hui, cette grande mare n'est pas vraiment dans un coin retiré, mais plutôt sur le bord du chemin. Pas forcément le cadre enchanteur qu'on aurait pu attendre !
Puis je bifurque à gauche, direction la batterie de la Châtaigneraie qui, si mon plan est exact, doit être toute proche.

Table d'orientation de la Châtaigneraie, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Mais après quelques mètres hors de la forêt, je dois me rendre à l'évidence. Ici, point de batterie ! Juste un immense terrain herbeux, une colline presque pelée, avec à son sommet une minable table d'orientation. Et pourtant ici, dès 1879, date d'achèvement de la construction des ouvrages de Verrières, il y avait plus d'une centaine d'hommes (près de 200 étaient prévus en temps de guerre), officiers, sous-officiers et simples soldats qui, jour et nuit, gardaient la position. Leur travail ? Observer sur 180° la venue (peu probable dans cette direction !) d'un ennemi, entre le Fort de Châtillon au Nord et le village de Massy au Sud. Car c'est ici, sous mes pieds, qu'a été enterré au milieu des années 1970, sous des mètres cubes de terre et de gravats provenant alors du chantier de l'A86 tout proche, un énorme bâtiment en pierre et béton. Cette fameuse Batterie de la Châtaigneraie.
Comme je ne verrais de toute façon rien ici, je décide de continuer mon exploration. Et je rejoins la position suivante - la Batterie du Terrier - par le bucolique Chemin des Violettes. Tout un programme !

Forestiers, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

En ce mois de mars, le bois est en chantier, c'est la période "élagage et nettoyage" avant le retour définitif du printemps. Et les forestiers ont fort à faire. Tout doit être près dans quelques semaines, un mois au plus, pour accueillir les familles dans une forêt bien propre aux allures de nature bienveillante et hospitalière.

Comme un Tumulus, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Alors que j'avance sur le chemin, je crois discerner sur ma gauche, entre les arbres décharnés, une sorte de rempart fait de buttes de terre. Ici aussi, sous des tonnes de remblais se trouve un bâtiment de plusieurs dizaines de mètres de long. Impression étrange d'aborder un lieu qu'on aurait voulu cacher, qu'on aurait voulu soustraire aux yeux de tous. Comme une sépulture sans honneur, qu'il faudrait absolument dissimuler. Et oublier. La Batterie du Terrier - la plus petite en nombre d'occupants avec la Batterie d'Igny - avait la forme inhabituelle d'un W. Ici, les hommes ne restaient que quelques heures. Dans un confort sommaire (il n'y avait même pas de réserve d'eau) et dans un ennui profond, ils attendaient que leur tour de garde s'achève, avec pour seuls compagnons quelques canons. Dans les tout premiers jours d'août 1914, alors que la mobilisation générale vient d'être ordonnée, ce sont des milliers de soldats venus de la France entière qui convergent vers la capitale afin de prendre leur position dans ce qu'on appelle alors, le Camp Retranché de Paris. Très vite l'autorité militaire se rend compte que la vie quotidienne dans les forts, avec autant de nouveaux venus, va poser quelques petits problèmes. Pour preuve, une note datée du 12 août 1914 du Gouverneur Militaire de Paris à l'intention, entre autres, de la Division occupant la Position du Bois de Verrières : « Les Généraux commandant les Divisions de Réserve Territoriale sont invités à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire enfouir ou incinérer dans les cantonnements les immondices et détritus de toutes sortes. » J'ose à peine imaginer l'odeur qui devait régner autour de la Batterie pendant cette période caniculaire …

La saillie du Terrier, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Aujourd'hui, de toute cette vie un peu triste, il ne reste finalement pas grand-chose. Une fine saillie barre le bois comme une ancienne cicatrice qui s'estompe avec le temps. Et un profond et long fossé marque les contours de ce que l'on appelait le front de tête. Un drôle de sillon, incongru dans cet environnement boisé, que j'emprunte pour faire le tour de l'ouvrage. Mais pas grand-chose à voir, si ce n'est un vieux moteur rouillé, une borne en pierre et ça et là, des troncs d'arbres pourrissants tombés en travers du fossé.

Le fossé du Terrier, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Et puis soudain c'est le cul-de-sac, me voilà arrivé au bout. Espérant avoir une vue plongeante sur l'ouvrage, je gravis le tumulus. Au sommet, un arbre tortueux me fait face. Je le contourne, cherchant le meilleur angle pour le photographier et là … surprise … L'arbre, étrangement, semble greffé sur un mur en pierre. Non. Pas un mur en pierre. Une des traverses-abris qui servaient à ranger le matériel et l'armement. Un simple toit en pierre et béton, où pouvaient s'abriter la vingtaine d'artilleurs qui, jour et nuit, gardaient ces lieux. Au cas où !

Traverse-abri du Terrier, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

L'ouverture en arc de cercle qui dépasse à peine du remblais me fait penser à l'entrée du tombeau d'un Pharaon. Enfant j'aurais pu, à ce moment précis, me prendre pour Lord Evendale ou pour le docteur Rumphius4, mais aujourd'hui je me rends compte que ce qu'il y a là-dessous n'a rien à voir avec la majesté d'un demi-dieu. Et ce qu'on a voulu cacher ici sous des mètres cubes de terre, semble avoir plus l'odeur fade de la honte que la beauté magique d'une civilisation ancestrale …

Moteur, Batterie du Terrier, Bois de Verrières, 2012
Photo © Yannick Vallet

Demain : de vrais chercheurs, une fausse Bertha et des spectres de guerre …




4. "Le Roman de la momie" de Théophile Gautier (1858)